Psychologie sociale : interview avec Alisée Bruno, co-fondatrice de la startup Trouvotto
Docteure en psychologie sociale expérimentale, Alisée Bruno est co-fondatrice et associée chez la startup Trouvotto, qui propose un outil d’aide à la décision pour les consommateurs qui souhaitent changer de voiture.
Liste des questions
Quel est votre domaine d’activité ?
Mon domaine d’activité est la digitalisation du secteur automobile. On a créé un outil d’aide à la décision pour le consommateur qui n’est pas connaisseur et qui souhaite changer de voiture.
Cet outil va permettre de proposer des modèles qui correspondent aux besoins de l’utilisateur sur la base de trois types de questions : 1) l’usage fonctionnel (e.g., combien de personnes vous accompagnent pendant vos trajets, quel type de route empruntez-vous le plus souvent ?), 2) les goûts esthétiques, (3) la personnalité de l’utilisateur (où l’on extrait les caractéristiques et les besoins individuels de l’utilisateur). Enfin, l’algorithme proposera de 2 à 5 véhicules qui correspondent parfaitement ou au moins à 80% à ses besoins.
Pouvez-vous résumer votre parcours de thèse en psychologie sociale ?
J’ai fait une thèse en psychologie sociale expérimentale à Clermont-Ferrand au CNRS. Ma thèse portait sur la mobilité sociale ascendante et les freins que celle-ci provoque sur les étudiants de basse classe sociale, c’est-à-dire les étudiants qui s’apprêtent à décrocher un diplôme supérieur à celui de leurs parents. Plus précisément, je me suis intéressée à l’impact motivationnel de l’ascension sociale sur ces étudiants. On se rend compte qu’ils peuvent être soumis à des freins motivationnels et culturels qui risquent d’entraver leurs chances de réussite. L’enjeu de ma thèse était d’étudier les processus psychosociaux qui sont mis en œuvre dans ce processus de mobilité et de proposer des leviers qui peuvent remédier à ces freins afin de lutter contre les inégalités sociales.
Vous avez co-fondé Trouvotto. Quels sont les objectifs derrière cette startup ?
L’objectif est humain et économique. On a développé un outil d’aide à la décision qui est un service au consommateur. Le but est d’aider la personne qui n’est pas connaisseuse qui veut changer de voiture et qui se retrouve en pleine jungle automobile en ne sachant pas quel modèle de véhicule est fait pour lui. C’est un service gratuit pour le consommateur, mais on a aussi une dimension économique car l’enjeu est de trouver la voiture idéale, de la faire essayer et de réaliser la vente auprès de la concession. On met en relation le client avec la concession automobile et on prend une commission auprès du concessionnaire et non auprès du client.
Quelles sont vos missions au sein de Trouvotto ? Quelles compétences de votre doctorat réutilisez-vous ?
Je suis cofondatrice de la startup Trouvotto et associée. On a développé la partie psychologique de l’utilisateur. C’est-à-dire que j’ai fait ma thèse et développé des compétences en psychologie sociale expérimentale. J’ai pu vraiment faire la passerelle dans le secteur du privé parce que dans l’application, bien qu’elle soit dans un domaine particulier qui est celui de l’automobile, on va exploiter les besoins psychologiques du consommateur. Au niveau méthodologique et statistiques, j’utilise les mêmes procédés d’analyse. Il s’avère que l’automobile est aussi ma passion depuis toute petite donc je fais d’une pierre deux coups. Sans parler de cela, il est vraiment possible de transposer des compétences académiques à des compétences “métier” par la suite.
À la sortie de votre thèse, comment s’est concrètement passé le passage de la recherche à l’entreprenariat ?
C’est vrai qu’on ne le souligne pas suffisamment. En thèse, on est tellement dans le rush permanent, où il faut être dans les temps, rendre des comptes à notre directeur de thèse, nous sommes constamment dans l’urgence et la pression. On ne se rend pas compte qu’à notre sortie de thèse, on est capable de réaliser énormément de choses en un minimum de temps. On le fait tellement de manière spontanée qu’on n’en prend pas conscience.
Après ma thèse, j’allais courir plusieurs fois par semaine, j’avais le temps de faire des rallyes automobiles parce que c’est ma passion. C’est vrai qu’on ne le dit pas suffisamment : pour moi, les semaines de thésards sont largement autant voire plus denses que les journées de travail par la suite.
Faut-il être passionné par un domaine pour sortir de l’académique ?
Pour moi, c’est un bonus. On m’a proposé ce projet et je suis passionnée d’automobile et de sports mécaniques, donc forcément ça fait sens, je recroise sur les deux secteurs d’activité. Mais on peut tout à fait utiliser des compétences dans un autre domaine et les extrapoler. Être passionné aide, mais les compétences qu’on acquiert dans le secteur académique sont transposables indifféremment des passions à titre personnel.
Comment percevez-vous le rapport entre la recherche et le monde de l’entreprise en France ?
Avant de mettre un pied dans l’entreprise, on a tendance à penser que l’université et le secteur privé ne sont pas forcément compatibles. On pense que quand on fait une thèse, on est obligé de continuer dans le système académique et le milieu universitaire en devenant enseignant-chercheur (Maître de conférences).
En fait, on se rend compte que quand on a confiance en ses compétences, on peut tout à fait les injecter dans le monde du privé, parce que les entreprises sont friandes des docteurs, car on a quand même la capacité de s’adapter. Bien qu’on ait une thèse dans un domaine très spécifique, généralement on a une tolérance et une gestion du stress qui est assez importante, car on demande un travail qui est monstrueux en trois ans de thèse, nos directeurs de thèse sont souvent très exigeants. Toutes ces compétences, au-delà des compétences académiques, ce sont aussi des compétences humaines qu’on développe, une résistance, une détermination.
Et aujourd’hui, je pense que les chefs d’entreprise et les acteurs du privé sont très sensibles à ce genre de valeurs que les étudiants prônent en sortant de thèse. Il ne faut donc pas douter de nos compétences. Le plus dur est d’y mettre un pied, après il ne nous reste plus qu’à s’adapter et on peut le faire ! 😉
Mettez-vous votre doctorat en avant dans vos activités, ou vous ne le dites pas ? Est-ce que ça a une valeur ajoutée en termes de communication ?
On se rend compte que peu de gens connaissent des personnes qui ont un doctorat, et du coup on commence à le mettre de côté. Parce que finalement, la plupart des gens ont des diplômes très professionnalisants (BTS, licences et masters). J’en parlais d’ailleurs avec mes parents en leur disant « j’oublie même que j’ai un doctorat ». Mais lors des événements, je le dis, car d’une part cela permet d’être un témoignage, de montrer qu’on a un doctorat sans forcément être maître de conférences à l’Université et que l’on exerce dans le privé. Ça atteste d’une certaine légitimité. On a des compétences qui nous caractérisent mais on oublie parfois de les mettre en avant.
Pourquoi ce choix de l’entrepreneuriat ?
À l’origine, j’ai un caractère dynamique, j’aime prendre des risques, entreprendre des nouveaux projets et challenges. Et pour moi, le système académique et le monde de la recherche, bien qu’extrêmement passionnants et variés, étaient limités dans l’efficacité : on se rend compte qu’entre des travaux de recherche et la publication (là où nos travaux deviennent visibles), le laps de temps est très long. Des fois, il faut plusieurs mois voire années avant qu’un article puisse être soumis dans la littérature anglophone. C’est vraiment cette dimension qui me manquait. J’avais envie de pouvoir rendre service de façon plus rapide aux gens, aux citoyens, de proposer un service qui soit plus pratique, plus terre à terre, dont je puisse avoir les effets plus rapidement. C’est pour cela que je me suis lancée dans l’entreprenariat.
Auriez-vous quelques conseils à destination de personnes issues de la recherche voulant se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Il faut être en mesure d’extraire les compétences qui bornent le secteur d’activité dans lequel on a fait sa thèse. Ce sont des mots-clés, ça peut être « statistiques », « anglais », « méthodologie », etc. Il faut savoir les valoriser dans son CV, c’est très important. L’employeur doit être en mesure de voir en un seul coup d’œil sur le CV ce qu’on peut apporter à l’entreprise.
Je pense qu’il faut aussi mettre en avant le dynamisme, une qualité incontestable du chercheur et du doctorant et futur docteur, mais aussi la polyvalence, l’adaptation, l’investissement ou encore la ténacité. Ce sont des valeurs humaines qui sont indéniables quand on a fait une thèse. Après une thèse, on est vraiment capables de faire plein de choses. Que ce soit dans l’entrepreneuriat ou le salariat, il y a beaucoup de passerelles qui s’opèrent, et maintenant il y a aussi des aides qui sont allouées aux entreprises lors du recrutement d’un jeune docteur. Les recruteurs ne le savent pas suffisamment.
Concrètement, cela a été mon cas, je suis salariée de la startup. Quand j’ai rencontré mon associé, il n’avait pas connaissance de tous ces dispositifs. Donc il ne faut pas hésiter à faire des recherches, à dire qu’il y a des allègements fiscaux au sein de l’entreprise quand on recrute un jeune docteur, qu’il y a des choses qui facilitent l’entrée du docteur dans le secteur privé pour éviter la fuite des docteurs à l’étranger.
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Merci pour cet entretien très stimulant !