Insertion professionnelle des docteurs : entretien avec Latifa Rezg
Dans cette interview, Latifa Rezg, Responsable du réseau Alumni docteurs à l’Université de Lorraine, partage les objectifs de ce réseau et met en lumière les défis auxquels font face les doctorants et jeunes docteurs dans leur insertion professionnelle. Elle discute également de la façon dont le doctorat contribue au développement de soft skills et donne des conseils aux doctorants qui envisagent une carrière dans le privé.
Vous êtes Responsable du réseau Alumni docteurs à l’Université de Lorraine. Pouvez-vous présenter ce réseau et son objectif principal ?
Latifa Rezg : Le réseau Alumni Docteurs de l’Université de Lorraine est une communauté qui a été créée fin novembre 2020. Ce réseau rassemble les doctorants et les docteurs issus de toutes les spécialités de recherche de l’Université. Son objectif est double : d’une part, maintenir le contact avec ses docteurs pour promouvoir l’Université de Lorraine en s’appuyant sur ses anciens diplômés et en favorisant des collaborations en recherche et innovation avec leurs entreprises ; d’autre part, accompagner les doctorants en fin de thèse ainsi que les jeunes docteurs dans le développement de leur expérience professionnelle et leur progression de carrière.
Ce réseau rassemble les doctorants et les docteurs issus de toutes les spécialités de recherche de l’Université.
Vous êtes donc en contact avec de nombreux doctorants et docteurs de l’Université de Lorraine, quelles sont les principales difficultés qu’ils rencontrent pour leur insertion professionnelle ?
Latifa Rezg : Tout d’abord, je préfère éviter l’expression « insertion professionnelle », car le doctorat est déjà considéré comme une expérience professionnelle. Je préfère donc parler de poursuite de carrière. Heureusement, ce ne sont pas tous les docteurs qui rencontrent des difficultés dans leur poursuite de carrière.
Cependant, pour ceux qui sont dans cette situation, les principales difficultés sont liées à la candidature dans le secteur privé. Le principal souci réside essentiellement dans le manque de reconnaissance du doctorat sur le marché du travail. Malgré les efforts de nombreux acteurs pour valoriser le doctorat, ce défi persiste et certaines candidatures n’arrivent parfois même pas au stade de l’entretien à cause de ce critère. Il est donc impératif de sensibiliser les employeurs à la valeur ajoutée des docteurs et aux opportunités qu’ils offrent en termes d’innovation et de recherche appliquée.
Pour certains jeunes docteurs internationaux, la barrière de la langue peut parfois poser des freins, même si l’employeur reconnaît la qualité du dossier du candidat. Le défi réside alors dans l’intégration en entreprise, en raison des différences culturelles.
Il est impératif de sensibiliser les employeurs à la valeur ajoutée des docteurs et aux opportunités qu’ils offrent en termes d’innovation et de recherche appliquée.
Comment expliquez-vous la méconnaissance du doctorat en France en dehors du réseau académique ?
Latifa Rezg : Au cours des vingt dernières années, pendant mon doctorat, nous étions majoritairement formés avec l’idée que le doctorat était principalement destiné à une carrière universitaire. En France, nous avons pris du retard par rapport à d’autres pays, tels que nos voisins allemands où les docteurs pouvaient depuis longtemps intégrer diverses carrières dans le secteur privé et occuper des postes à haute responsabilité.
Heureusement, les mentalités et les perceptions concernant le doctorat évoluent lentement aujourd’hui, reconnaissant ainsi que le doctorat est le diplôme universitaire le plus élevé en termes de recherche académique, mais aussi en termes de compétences professionnelles.
Quelles ressources spécifiques les réseaux Alumni offrent-ils pour favoriser l’insertion professionnelle des doctorants et jeunes docteurs ?
Latifa Rezg : Le réseau Alumni est un outil formidable pour favoriser l’insertion professionnelle. Il offre des opportunités telles que l’accès à l’annuaire des anciens, la consultation de leurs profils, la recherche sur les entreprises où ils travaillent, les postes qu’ils occupent, ainsi que la possibilité de les contacter par messagerie privée. C’est là l’avantage majeur qu’un réseau peut offrir aux jeunes docteurs. De plus, chaque réseau possède ses propres spécificités et peut mettre en place diverses actions pour favoriser les échanges entre doctorants et docteurs. Ces actions incluent des afterworks, des interventions avec des témoignages de docteurs, ainsi que du coaching via des dispositifs de mentorat, pour ne citer que quelques exemples.
Le réseau Alumni est un outil formidable pour favoriser l’insertion professionnelle.
Quels sont les partenaires clés du réseau Alumni et comment bénéficient-ils à ses membres ?
Latifa Rezg : La réussite d’un réseau Alumni repose essentiellement sur l’engagement et la participation de ses membres. Plus ces derniers sont actifs et contribuent, plus les avantages se font sentir pour le développement du réseau. Il est important de souligner que les principaux partenaires du réseau sont les Alumni eux-mêmes, les employeurs ainsi que les diverses organisations qu’ils représentent, tant dans le secteur public que privé.
En outre, tous les acteurs liés à l’employabilité des docteurs et à la valorisation de leurs compétences sont nos partenaires clés. À l’Université de Lorraine, nous avons identifié certains de ces acteurs comme des partenaires privilégiés dès la création du réseau, et nous les avons mentionnés sur la page d’accueil du site web. Ils interviennent fréquemment lors de formations destinées aux doctorants, organisent des webinaires sur diverses thématiques telles que l’identification et la valorisation des compétences, proposent des ateliers sur la recherche d’emploi dans le secteur privé, ou encore organisent des sessions de recrutement en ligne ou en présentiel.
Pouvez-vous partager un exemple de réussite où le réseau Alumni Docteurs a joué un rôle déterminant dans la carrière d’un ancien doctorant dans le secteur privé ?
Latifa Rezg : Le réseau a indéniablement joué un rôle déterminant dans l’accompagnement des jeunes docteurs dans leur recherche d’emploi dans le secteur privé. Je vais citer ici le témoignage d’un jeune docteur diplômé en 2023, tel que je l’ai reçu :
J’ai intégré le programme de mentorat au cours de la première session, fin 2022, juste au moment où j’entamais ma dernière année de thèse. Très rapidement j’ai été mis en contact avec un Mentor du réseau, et je peux témoigner que son accompagnement a été un déclic pour moi. En effet, ce dernier m’a permis d’ouvrir les yeux sur les potentielles opportunités d’après thèse, moi qui étais resté bloqué dans ma bulle de carrière académique systématique après la thèse.
Calvin Tagne Kaegom
De plus, j’ai bénéficié d’un accompagnement dans la rédaction de mon CV, et j’ai notamment appris comment traduire mon CV qui, jusque-là, était très académique, en un CV qui puisse parler aux entreprises. En somme, ce fut très bref, mais je remercie le réseau, et plus particulièrement ce Mentor pour m’avoir débloqué et permis de m’ouvrir à d’autres opportunités hors recherche académique.
Selon vous, comment le doctorat favorise-t-il le développement de soft skills pour l’insertion professionnelle et le développement de la carrière ?
Latifa Rezg : Nous sommes convaincus que dans le cadre du doctorat de très nombreuses compétences y sont développées : certaines sont liées au champ disciplinaire et d’autres en sont indépendantes. On parle de Soft skills, qui sont les compétences transférables. Elles sont développées dans des situations professionnelles transposables d’un métier à l’autre, compétences, qui favorisent l’insertion professionnelle et le développement de la carrière après un doctorat.
Il est essentiel que les doctorants et jeunes docteurs prennent conscience de leurs compétences et sachent les valoriser auprès des recruteurs, par exemple en utilisant la démarche du portfolio. Celle-ci consiste à associer différentes expériences personnelles, associatives et professionnelles aux compétences qu’elles ont permis de développer.
La gestion du temps et des projets est une compétence précieuse dans de nombreux domaines professionnels. La réalisation d’une thèse implique une gestion autonome de projets de longue durée (environ 3 ans), en planifiant le travail, en fixant des objectifs, en hiérarchisant les tâches et en respectant les délais.
D’autres compétences développées incluent le travail d’équipe, en collaborant avec d’autres chercheurs, des encadrants ou des partenaires externes, ainsi que la communication, que ce soit lors de la présentation de sa recherche dans des conférences ou dans la rédaction de publications, ce qui contribue au développement de compétences en communication écrite et orale. En outre, la résolution de problèmes complexes et la pensée critique obligent les doctorants à remettre en question les idées établies, les poussant à être créatifs, flexibles et persévérants dans la recherche de solutions.
En somme, le doctorat offre un environnement propice au développement des soft skills essentielles pour réussir son insertion professionnelle, que ce soit dans le monde académique ou dans le secteur privé.
Le doctorat offre un environnement propice au développement des soft skills essentielles pour réussir son insertion professionnelle.
Enfin, quels conseils donneriez-vous à un doctorant qui envisage de poursuivre sa carrière dans le privé après l’obtention de son diplôme ?
Latifa Rezg : Pour réussir dans le secteur privé après l’obtention de son diplôme de doctorat, il est conseillé de participer activement à la vie de son laboratoire et à des activités associatives pendant sa thèse. Il est également important de valoriser ses compétences transférables et de mettre en avant ses réalisations. Travailler son réseau dans le domaine visé est essentiel : cela implique de cibler les professionnels du secteur et de se tenir informé de leurs opportunités. Enfin, faire de la veille régulière sur le marché du travail et être ouvert aux opportunités sont des éléments clés pour réussir dans le secteur privé.
Faire de la veille régulière sur le marché du travail et être ouvert aux opportunités sont des éléments clés pour réussir dans le secteur privé.
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