La vulgarisation scientifique au service de l’océanographie biologique
Cette semaine, Okay Doc interroge Mélanie Gaillard, docteure et vulgarisatrice scientifique en océanographie biologique. Elle explique l’essence de l’océanographie biologique, expose les défis actuels de ce domaine et met en lumière l’importance de la vulgarisation scientifique pour sensibiliser le grand public aux enjeux marins ! Un échange passionnant.
Vous faites de la vulgarisation scientifique en océanographie biologique. Qu’est-ce que l’océanographie biologique ?
Mélanie Gaillard : L’océanographie biologique, c’est la discipline de la biologie de l’océanographie ! L’océanographie a ses spécialités : la biologie, la géologie, la chimie ou la physique. Ainsi, j’ai étudié les organismes vivants marins en fonction de l’environnement dans lequel il accomplit son cycle de vie, c’est-à-dire son habitat, des petits aux grands, de la bactérie au mammifère marin. L’océan est un vaste milieu et les conditions de vie sont diverses des côtes aux abysses, à l’image de la multiplicité des espèces marines dont la plupart sont encore inconnues. Les espèces migratrices qui vivent entre les eaux marines, les eaux estuariennes et les eaux douces, comme l’anguille, sont aussi étudiées et j’en ai fait ma spécialité.
Cette branche de l’océanographie étudie ainsi tous les processus et interactions biologiques et écologiques dans les environnements marins, les mécanismes d’adaptation des espèces, la dynamique des populations, leurs distributions géographiques, les facteurs qui influencent leurs histoires de vie, de l’étude du gène à l’étude du biotope, d’un endroit très localisé à l’étendue d’un océan, de l’organisme à son habitat marin pour comprendre son fonctionnement, son comportement actuel et à venir…
Vous êtes également docteure dans ce même domaine. Quels sont les principaux résultats de vos recherches ?
Mélanie Gaillard : J’ai effectué des recherches pour la préservation de l’anguille d’Amérique et l’anguille européenne. Chez l’anguille d’Amérique, j’ai décelé en étudiant les gènes les nutriments des anguilles, pourquoi les civelles migrent soit en rivière soit en estuaire et zone côtière. Les civelles, ce sont les jeunes anguilles qui arrivent aux côtes après une longue traversée de la larve, dite leptocéphale, dans l’océan Nord Atlantique depuis leur unique zone de frai caribéenne en mer des Sargasses. J’ai découvert que leur migration vers ces lieux de croissance très différents, était liée aux capacités de la civelle à utiliser le métabolisme des lipides ou des glucides ! Le gras ou le sucre.
Cette capacité énergétique individuelle était aussi liée à une plus grande performance pour la croissance, le développement, l’osmorégulation, … entre les eaux marines et les eaux douces. J’ai ainsi décelé que la migration chez l’anguille serait une capacité intrinsèque liée à son écotype, c’est-à-dire que l’anguille serait adaptée physiquement, physiologiquement, génétiquement et écologiquement à un habitat d’eau douce ou d’eau marine.
En d’autres termes, dis-moi combien il te reste de glycogène, je te dirai où tu iras migrer. Cette capacité métabolique aurait un lien avec le développement sexuel de l’anguille car ce sont en général les femelles qui effectuent leur croissance en eau douce, la température de l’eau et son histoire paléontologique. Je préconisais ainsi de tenir compte de cette caractéristique d’écotype dans les programmes de gestion pour une gestion éclairée de l’anguille.
Chez l’anguille européenne, j’ai décelé que la colonisation de certains milieux pouvait générer des arrêts de croissance chez la civelle. J’ai aussi développé une méthode de détection non létale qui, en analysant la fluorescence des nageoires des anguilles, permettait de détecter les poissons qui ont été marqués avec un colorant rouge pour les suivre après leur réintroduction dans le milieu d’eau douce. Cette réintroduction s’appelle le repeuplement des anguilles, une mesure de gestion française et canadienne pour que l’anguille repeuple les rivières, car avec les changements globaux, la population européenne et américaine sont en danger critique d’extinction.
Aujourd’hui, quels sont les principaux enjeux de l’océanographie biologique ?
Mélanie Gaillard : La sauvegarde des espèces marines est le principal enjeu de l’océanographie biologique. Avec les changements globaux, le vivant est en plein déclin, nous sommes entrés dans la 6ème extinction de masse de la biodiversité, et les organismes marins sont aussi touchés ! L’océan connaît des canicules marines, s’acidifie, etc. L’océan, grâce aux organismes vivants, le phytoplancton et toute la chaîne alimentaire, est le poumon bleu de la Terre, un puits d’oxygène, une pompe des émissions de CO2, un régulateur du climat, il est bon de le préserver.
À l’heure actuelle, le défi est de préserver la bonne santé des organismes marins et leur écosystème, de minimiser les menaces auxquelles ils font face, de déceler leur mécanisme d’adaptation, de suivre les populations, de comprendre leur dynamique et modéliser celle à venir… pour anticiper.
Ainsi, un océanographe biologiste joue un rôle important dans la conservation des écosystèmes marins, en fournissant des informations cruciales sur la santé de ces écosystèmes, les pressions auxquelles ils sont soumis, telles que la pêche excessive, la pollution, le changement climatique, la dégradation des habitats, etc. Cette discipline est donc essentielle pour mieux comprendre et protéger la vie marine et assurer une gestion durable des ressources océaniques.
Pouvez-vous expliquer en quoi consiste votre travail de vulgarisation scientifique en océanographie biologique ?
Mélanie Gaillard : Je vulgarise en cours d’enseignement supérieur pour des publics non habitués comme les écoles de commerce, les géographes, les sociologues.
Dernièrement, j’ai fait une exposition dans un parc de Bordeaux où se trouve des carrelets où l’on pêchait les anguilles avant qu’elles ne soient protégées, pour sensibiliser le public sur le statut de l’anguille, son cycle de vie, ses capacités extraordinaires, sa mémoire, sa faculté à détecter le champ magnétique terrestre pour se repérer. J’ai voulu montrer comment elle est protégée, pour que le public ait un autre regard sur l’anguille et sur l’Estuaire où il y a des organismes extraordinaires, et pour que le public connaisse mieux l’anguille, une espèce patrimoniale qui se raréfie. Comme le disait Jean-Yves Cousteau, “Mieux connaître pour mieux protéger”.
Actuellement, je suis en train de préparer une promenade “Anguille” le long des quais de Bordeaux pour tous les promeneurs, promeneuses et touristes. Ce seront des affiches le long de la Garonne sur l’anguille. J’ai aussi fait un site internet sur l’anguille pour tous les amoureux et amoureuses de l’anguille.
La vulgarisation, c’est parler simplement avec du vocabulaire courant et non spécialisé, ce qui est une gymnastique cérébrale à faire après quinze années à parler entre experts. Mon expérience en tant qu’animatrice à Cap Sciences et de raconter mes recherches à un public non averti, m’ont aidée à vulgariser et j’ai encore à apprendre.
Comment cela permet-il de faire face aux défis sociétaux actuels ? En quoi connaître et faire connaître est-il essentiel ?
Mélanie Gaillard : La sensibilisation de tous les publics et de la jeune génération est essentielle pour que chacun et chacune puisse agir de manière éclairée aujourd’hui et demain, et que les connaissances soient transmises aux générations à venir. Il est essentiel de savoir agir en connaissant les conséquences sur ce qui nous entoure, en intégrant les cycles naturels et tout le vivant, pour rééquilibrer l’environnement grâce auquel nous vivons dans de bonnes conditions.
Il est temps je pense aujourd’hui de faire et d’agir en pensant sur un plus long terme et de manière systémique, holistique. Plus nous saurons, plus nous ferons attention. L’extinction en masse de la biodiversité est un signe de bouleversement du vivant, j’ai espoir qu’il est encore temps pour anticiper.
Enfin, avez-vous un exemple de collaboration ou d’événement scientifique où vous avez pu rendre vos recherches accessibles ?
Mélanie Gaillard : J’ai été finaliste au concours La preuve par l’image de l’ACFS en 2013 où les images scientifiques ont parcouru le Québec pour des expositions, avec une couverture médiatique. J’ai participé aux événements arts et sciences où je suis allée informer et sensibiliser. À part ces collaborations, je n’ai pas pu rendre visibles mes recherches mais j’adorerais faire plus et écrire un livre avec une maison d’édition.
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