“On utilise les biotechnologies au quotidien, parfois sans le savoir” (SupBiotech)
Vanessa Proux, docteure en génie enzymatique et directrice générale de SupBiotech, nous explique sa vision de l’avenir des biotechnologies dans une interview avec Okay Doc. Elle nous parle des perspectives de l’ouvrage prospectif de SupBiotech, en explorant comment les biotechnologies changeront notre monde au cours de la prochaine décennie. L’interview offre un aperçu des avancées à venir et des implications éthiques qui façonneront ce secteur.
L’avenir des biotechnologies vu par SupBiotech
Pouvez-vous nous parler de l’objectif principal de l’ouvrage prospectif de SupBiotech ?
Vanessa Proux : Pour commencer, SupBiotech est une école d’ingénieurs spécialisée dans les biotechnologies. Nos activités principales sont la formation mais aussi les activités de recherche. Toutefois, nous sommes attentifs à être bien ancrés dans notre écosystème. Nous considérons que nous avons aussi comme mission de valoriser et communiquer sur les biotechnologies au sens large. C’est également notre rôle de présenter au grand public ce que sont les biotechnologies, car elles sont souvent, à mon sens trop méconnues, ou alors elles sont connues, mais sous un angle réducteur, pas forcément dans tous les domaines d’application qu’elles peuvent impacter. Par conséquent, nous avons cette politique de communication de publier. Cela peut être des posts sur les réseaux sociaux, mais aussi des textes un plus conséquents comme des livres.
En 2015, on avait publié un premier ouvrage avec le même objectif de vulgarisation scientifique pour présenter et valoriser les biotechnologies et toutes leurs applications. Cet ouvrage s’appelait “Biotechnologies : Les promesses du vivant”. Dans cet ouvrage, nous avions rassemblé une vingtaine d’entretiens avec des experts scientifiques sur différents sujets biotech et nous leur avions demandé d’aborder les innovations futures.
Huit ans plus tard, en 2023, on a fait un deuxième ouvrage car tout va très vite dans le monde des biotechnologies, en termes de connaissances au monde vivant, mais aussi de technologies pour valoriser le monde vivant. On a donc écrit ce livre pour faire le point sur les avancées et les progrès dans les biotechnologies. Dans ce nouvel ouvrage, on a fait le point sur les innovations qu’on avait pu présenter huit ans auparavant, et puis sur les nouvelles à venir et notamment à l’horizon 2030. Cet ouvrage a aussi pour objectif de promouvoir, de valoriser ce que sont les biotechnologies et de tout ce qu’elles peuvent nous apporter au quotidien. Parce que finalement on ne s’en rend pas toujours compte, mais dans notre cuisine, on a des biotechs, dans notre frigo également, mais aussi pour se soigner. On sollicite beaucoup les biotechnologies, parfois sans le savoir.
Quels sont les thèmes et chapitres principaux de l’ouvrage prospectif de SupBiotech ?
Vanessa Proux : Dans l’ouvrage, on a voulu aborder tous les domaines d’application où l’on peut retrouver les biotechnologies : santé et agro-environnement notamment. On a donc organisé l’ouvrage par chapitre par rapport à nos besoins quotidiens.
“Quelle planète habiterons-nous demain ?” est un chapitre pour parler des applications des biotechnologies dans le domaine de l’environnement.
Un autre chapitre aborde l’application des biotechnologies pour l’agroalimentaire, c’est-à-dire à la fois la partie agronomique, l’agriculture mais aussi la partie alimentation et nutrition. Les biotechnologies ont des potentialités pour ces sujets : comment répondre à des enjeux alimentaires très forts, c’est-à-dire que nous sommes de plus en plus nombreux sur la planète et qu’il faut donc nourrir tout le monde de manière équilibrée tout en préservant la planète en limitant les gaz à effet de serre.
La troisième partie va concerner la santé au sens large, par exemple les biotechnologies pour l’industrie pharmaceutique : le développement de bio-médicaments, l’utilisation des biotechnologies pour des nouveaux modes de thérapies, l’immunothérapie, la médecine personnalisée avec l’approche génétique, les medtech, les dispositifs médicaux qui doivent être biocompatibles avec nous. Nous avons donc fait tout un chapitre sur les enjeux de santé qui sont très forts puisqu’on a la chance de vivre plus longtemps. C’est génial, mais en conséquence on s’expose à des pathologies liées au vieillissement : plus on vieillit, plus on a le risque d’avoir certaines maladies qui sont liées au vieillissement cellulaire.
Enfin, il y a un quatrième chapitre qui est un chapitre plutôt transversal, qui parle de la réglementation et des financements. Parce que finalement, dans l’univers des biotechnologies, il y a quand même beaucoup d’entrepreneuriat puisque c’est un secteur très innovant avec beaucoup d’actualités. Pour créer une entreprise, au début, il faut avoir des financements, il faut être aidé, il faut payer la recherche et le développement. Et puis le chapitre aborde également l’aspect réglementaire car il faut aussi l’intégrer. Comme on travaille sur des molécules issues du vivant ou du matériel vivant, il y a des réglementations qui sont spécifiques quand on fait des biotechnologies.
Pouvez-vous nous parler des perspectives d’avenir pour les biotechnologies dans les domaines de la santé, de l’agroalimentaire, de l’environnement et de l’industrie ?
Vanessa Proux : Dans le domaine de la santé, il y a l’immunothérapie qui est un traitement très développé et un traitement personnalisé puisqu’il s’agit d’orienter, d’aider le système immunitaire de manière personnalisée par rapport à notre génome. On s’est rendu compte qu’on n’a pas tous les mêmes façons de réagir aux traitements et aux thérapies selon notre ADN, notre information génétique.
Dans le domaine de l’alimentaire, il y a ce qu’on appelle le domaine des protéines alternatives aux protéines animales, notamment les protéines issues des végétaux, mais aussi celles des insectes, pour nous nourrir avec des enjeux nutritionnels très forts. Il y a de nombreuses entreprises qui se penchent sur ces sujets. Il y a également l’agriculture cellulaire, qui a pour objectif de fournir de nouveaux aliments. Là, il s’agit en fait de prendre un petit échantillon de protéines musculaires, par exemple d’un bœuf et après, en laboratoire in vitro, on va multiplier et travailler ces échantillons pour faire de la production de cellules, ce qui pourra ensuite permettre de faire de la viande par exemple. Cela permet de ne pas mobiliser des centaines de bovins et donc d’impacter la couche d’ozone. L’agriculture cellulaire est donc très porteuse.
Concernant l’environnement, il y a les applications qui concernent l’utilisation des déchets végétaux secondaires par exemple, comme le fait de prendre des copeaux de bois et les réutiliser pour faire des biomatériaux pour des constructions ou pour créer des objets. Il y a également des méthodes de dépollution des sols, c’est-à-dire rénover et nettoyer un sol grâce à des populations de bactéries qui vont pouvoir assimiler certains métaux lourds. Par ailleurs, il y a aussi beaucoup de possibilités sur ce que l’on appelle l’économie circulaire. C’est-à-dire que vous utilisez tout le matériel vivant et vous lui trouvez différentes applications, en l’utilisant complètement : toutes ces parties vont avoir un usage.
Concernant l’industrie, il y a aussi beaucoup de potentialités en bio-production, c’est-à-dire le fait de produire à partir de cellules vivantes : on va utiliser une cellule vivante, cela peut être une cellule de bactérie ou une cellule végétale que vous allez mettre dans des bioréacteurs. Et en fonction du paramétrage, de la composition du milieu de culture, de la température, du pH et de la teneur en oxygène, vous allez faire produire à ces cellules des molécules d’intérêt. Cela peut être un peptide, un sucre ou un lipide qui vont être réinjectés pour créer des aliments ou des médicaments.
Quels sont les enjeux éthiques liés au développement des biotechnologies et comment l’ouvrage prospectif de SupBiotech les aborde-t-il ?
Vanessa Proux : Tout au long de l’ouvrage, il y a des parties du texte où les enjeux sociétaux et éthiques sont abordés, notamment l’importance d’intégrer la société au développement de l’innovation.
Et dans le dernier chapitre, on a aussi des considérations éthiques qui sont traitées, parce que justement le but de ce livre, c’est vraiment de montrer au grand public que les biotechnologies ont leur place dans la société, mais qu’elles ont leur place avec un cadre réglementaire et un contrôle. En effet, on ne fait pas ce qu’on veut avec le monde vivant et c’est très important de l’intégrer parce que cela peut faire peur.
C’est pour cela que certaines innovations biotech ont fait l’objet de débats, voire de polémiques. Je pense notamment aux OGM. La place des OGM en France n’a rien à voir avec la place des OGM en Espagne ou aux États-Unis. Donc il y a certainement derrière aussi un manque de communication, de débat avec la société, avec le consommateur. Il est rappelé tout au long de l’ouvrage qu’il est important de présenter aux consommateurs les innovations développées de la manière la plus complète possible et de prendre en compte leurs doutes et interrogations.
Comment la coopération entre secteurs public et privé de la recherche peut-elle contribuer à placer la France à la pointe des biotechnologies ?
Vanessa Proux : La coopération entre secteurs publics et privés de la recherche peut contribuer à placer la France à la pointe des biotechnologies en étant encouragée et stimulée parce qu’en France, on a une recherche académique d’excellence. Il y a beaucoup d’initiatives pour rapprocher effectivement les entreprises des laboratoires publics, parce que le rôle des laboratoires publics est d’aller chercher la connaissance, de comprendre le monde vivant, d’aller identifier des molécules d’intérêt, des réactions chimiques qui peuvent avoir un intérêt pour nous, pour répondre à des besoins non pourvus. Mais le rôle des laboratoires académiques s’arrête là, entre guillemets, c’est-à-dire qu’ils cherchent, ils trouvent, ils confirment et font la preuve de concept.
Ensuite, pour la partie industrialisation, développement industriel, transposition industrielle et le changement d’échelle pour passer du laboratoire à l’usine : là, on a besoin du privé. Ce sont les entreprises qui vont pouvoir financer la suite du développement de l’innovation.
Il y a eu de nombreuses initiatives ces dernières années pour encourager les partenariats public-privé. Il y a même des agences, des entités qui se sont créées comme les SATT. Il y a également l’Agence de l’innovation en santé (AIS), la toute dernière structure créée pour stimuler et soutenir l’innovation dans le domaine de la santé, en poussant les partenaires, tous les acteurs publics-privés à travailler ensemble. Ils travaillent déjà ensemble, mais on peut toujours mieux faire. Il y a de nombreuses initiatives publiques de l’État pour favoriser ces rapprochements.
On est dans un schéma de compétences complémentaires, au-delà des financements complémentaires. C’est-à-dire que l’entreprise n’a pas forcément toutes les compétences pour innover puisque certaines de ces compétences sont du côté des laboratoires de recherche. Il est alors important qu’elles travaillent ensemble pour justement mettre en commun toutes ces compétences et augmenter les chances de succès d’une innovation qui verra le jour dans notre quotidien.
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