Réseaux sociaux : « S’il décide de communiquer, le gestionnaire gagne à proposer un contenu performant »
Dans cet entretien, Okay Doc donne la parole à Clément Laverdet, psychologue social et docteur en psychologie dont la thèse portait sur le rôle des communications et des réseaux sociaux numériques pendant les crises.
Liste des questions
Pouvez-vous résumer sommairement votre parcours de thèse ?
La personne qui encadrait mes recherches de master 2 à Paris V m’a suggéré de chercher une thèse pour continuer mes recherches en psychologie sociale. Quelques mois plus tard, j’ai trouvé une thèse encadrée par des chercheurs de l’Université de Nîmes et de l’IMT d’Alès : il fallait délimiter les rôles des réseaux sociaux numériques pendant les crises. Le sujet m’a passionné et j’ai beaucoup progressé dans mes pratiques professionnelles.
Sur le plan personnel, j’ai trouvé l’encadrement parfait, l’équipe d’accueil fantastique et dynamique, la transdisciplinarité très satisfaisante, les contacts entre les chercheurs très détendus et agréables. C’était une très bonne expérience.J’ai été financé par un contrat doctoral pendant la majeure partie de ma thèse et j’enseignais pendant 3 ans. Ensuite, j’ai finalisé et présenté le manuscrit en étant financé par le chômage.
Quel est votre domaine de spécialité ?
Je suis psychologue social et docteur en psychologie. Ma thèse apprécie l’influence des organisations sur Facebook, et la performance de leurs communications de crise. Je m’intéresse principalement aux crises qui s’imposent aux dirigeants publics français. Actuellement, je travaille sur des questions de sécurité routière.
Quels sont les principaux résultats de votre recherche ?
Mes recherches de thèse portent sur les crises identifiées par le public, et les communications qu’il faudrait délivrer au public à ces occasions. Concernant le contexte, les sociétés humaines traversent un flux continu de crises, qui sont généralement associées à des objectifs multiples. Il y a plusieurs types de menaces : des risques pour la société, des menaces de réputation, des conflits plus ou moins violents, etc. Pour détailler les principaux résultats, il faudrait voir le manuscrit de thèse, ou la présentation de soutenance.
Pour estimer la performance des communications de crise délivrées au public, l’analyse des bilans officiels des crises majeures n’est pas suffisante : autant que je puisse en juger, le bilan officiel des rôles des communications adressées au public pendant une crise n’est – quasiment – jamais réalisé de façon satisfaisante. Par exemple, après l’attentat de Nice en 2016, est-ce que les journalistes français et les autres acteurs de la société civile communiquent de façon à dénigrer efficacement Daesh pour répondre au conflit ; rassurer le public efficacement pour répondre à « la dimension de solidarité » ; maintenir l’activité politique; réaliser un marketing territorial performant pour limiter les manques à gagner, entre autres enjeux associés à cette crise ?
Les résultats de mes recherches s’articulent autour de trois axes:
- Présenter les théories de la communication de crise, avec une sorte de « manuel » de communication de crise.
- Évaluer la capacité d’influence des organisations sur Facebook, avec des bilans de l’influence de près de 200 pages Facebook journalistiques en 2018, de la page de la Présidence de la République entre 2016 et 2018, ou des préfectures inscrites sur Facebook en 2017 (e.g., les préfectures ne sont généralement pas très visibles sur Facebook, en comparaison avec la page de la Présidence de la République).
- Réaliser des bilans des communications délivrées au public pendant des crises, notamment des crises politiques et réputationnelles comme l’affaire Benalla en 2018, des catastrophes comme les inondations de 2016 en vallée de l’Yvette, et des accidents au sujet desquels je recoupe des publications académiques et des bilans officiels (les navettes perdues par la NASA). Les gestionnaires concernés sont des élus locaux, municipalités, préfectures, ministères, ou la présidence de la République.
Quelles préconisations pourriez-vous formuler pour les organisations qui souhaitent utiliser les réseaux sociaux et communiquer en situation de crise ?
S’il décide de communiquer, le gestionnaire gagne à assurer une diffusion efficace des messages, et proposer un contenu performant. Pour diffuser des messages efficacement sur les réseaux sociaux numériques, il faut une audience initiale aussi importante que possible, par exemple avoir beaucoup de fans sur Facebook et de followers sur Twitter. Ce défi d’avoir une audience aussi importante que possible implique de publier des contenus aussi intéressants que possible sur la durée, avant la crise.
Concernant le contenu à publier sur les réseaux sociaux numériques, tout dépend de la crise et de la capacité du gestionnaire à anticiper correctement le déroulé de la situation. Par exemple, est-ce que les communications participent à protéger le public d’un risque ou à accompagner la réponse à un conflit, avec une posture de dénigrement ou de négociation ?
Sur le plan réputationnel, est-ce qu’il est possible d’exploiter les émotions collectives induites par les informations au sujet de la crise, en visant à apparaître en « gestionnaire efficace » au terme de la crise ou, au contraire, est-ce que le gestionnaire doit envisager de maintenir sa réputation, en parallèle d’une crise, suite à un fiasco de gestion qui lui serait reproché, ou dans le cadre d’une crise de réputation à part entière comme un scandale ? Est-ce qu’il y a des objectifs de marketing territorial, en supplément de la rhétorique politique ou organisationnelle ?
Sans considérer les conflits, quand il peut répondre à la crise et que sa réputation n’est pas menacée, le gestionnaire gagne généralement à délivrer un message simple et concis pour répondre efficacement aux préoccupations du public et à la crise, en la transformant en opportunité de réputation. Ce cas de figure d’une crise qui serait une opportunité de réputation – sous réserve que le gestionnaire communique efficacement et soit présenté sous un jour positif par le discours public – concerne essentiellement les crises épisodiques et perçues comme extérieures aux responsabilités du gestionnaire, telles que des catastrophes naturelles, des accidents et des attentats.
Dans ce cas, il s’agit de répondre aux préoccupations du public, en publiant des contenus aussi intéressants et sensationnels que possible, qui « font sens » et sont compréhensibles pour le public : de tels messages conduisent à des réactions des utilisateurs des réseaux sociaux numériques et, ainsi, à diffuser des messages du gestionnaire, répondant efficacement à la crise et le présentant – implicitement – en gestionnaire efficace. Toutefois, il y a bien d’autres types de crise, qui nécessitent éventuellement une approche plus nuancée, notamment les conflits et les menaces de réputation…
Finalement, comment voyez-vous la coopération entre la recherche et les entreprises ?
En ce qui concerne la recherche en communication, je crois qu’il n’y a pas beaucoup de connexion entre la recherche académique et les professionnels de la communication, autant qu’il me soit possible d’en juger. Pour l’ingénierie et la gestion de crise, les colloques auxquels j’ai assisté mélangeaient des universitaires, des chercheurs industriels ou institutionnels, des élus ou des bureaucrates, etc. Donc je crois qu’il y a un dialogue entre la recherche en ingénierie et l’industrie, ou entre les organisations publiques et la recherche de plusieurs domaines typiques de la gestion de crise (p. ex. l’hydrologie).
Par Charles Aymard, responsable du pôle Conseil & stratégie en innovation chez Okay Doc.
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