Covid-19 et gouvernance territoriale : vers une application adaptée de l’intelligence stratégique à la gestion de crise des collectivités territoriales
Patrice SCHOCH
Docteur en sciences de gestion
Laboratoire CREM 6211 – Université Rennes 1
La crise sanitaire du Covid-19 a nécessité, en 2020, la mise en place de mesures de confinement, tant au niveau national qu’international, pour lutter contre la pandémie. Une étude du 30 mars 2020 de l’OFCE, centre de recherche en économie de Sciences-Po estime que la « crise est sans commune mesure avec tout ce que l’on a connu ». L’analyse fait ressortir une chute de 18% de la consommation des ménages, un chômage partiel qui pourrait concerner 5,7 millions de salariés et une perte de 60 milliards d’euros par mois de confinement (OFCE, 2020). Ainsi, tous les territoires et tous les acteurs ont été impactés par cette crise.
Le 26 septembre 2019, un incendie s’est déclaré au sein de l’usine Lubrizol (Rouen), classée Seveso ayant des conséquences à la fois sanitaires, environnementales et économiques. Néanmoins, une enquête menée en 2018, soit un an avant cet événement, montrait que plus de 60% des personnes interrogées ne connaissaient pas l’existence d’un risque industriel dans l’agglomération, 70% ignoraient la signification du signal d’alerte émis par les sirènes et 60% ne connaissaient pas les consignes à suivre en cas d’accident industriel (DAUDE, FENET, 2020). Pour Eric Daudé, « ces données alarmantes pour Rouen ne constituaient cependant qu’une étude de plus démontrant les lacunes de l’information préventive des populations et des moyens d’alerte et de communication en cas d’accident industriel en France. Elle laissait entendre également la (trop ?) grande confiance accordée aux services de l’État et aux industriels pour garantir le contrôle et la sécurité des sites » (BAUDE, 2020).
Quel est finalement le point commun entre ces deux évènements et ce court article ?
Si ces deux évènements font référence à la gestion de crise sur des évènements à forts impacts, ils posent finalement la question du niveau de connaissance, de vigilance et d’anticipation que les organisations publiques, doivent avoir sur l’ensemble des acteurs de leur territoire. Que les conséquences soient économiques, sociales ou de sécurité publique, une connaissance parfaite du territoire est nécessaire pour pouvoir agir efficacement dans le cadre de leurs missions de service public. Si l’intelligence économique territoriale a, un rôle à jouer dans la mise en place de politiques locales dédiées à la protection, au renforcement et à l’attractivité des territoires[1], se pose la question du pilotage des interactions des acteurs en dehors du champ purement économique.
1 – UNE INTERACTION FORTE ENTRE LES ACTEURS D’UN MÊME TERRITOIRE
Compte tenu des missions et de la nature des acteurs (publics, privés, politiques, ESS[2], etc.) d’un même territoire, il est essentiel de considérer les interconnexions qui existent entre eux (Figure 1). La défaillance d’un des acteurs impacte nécessairement les autres acteurs limitrophes. Par exemple, si un site industriel ferme, il faut envisager son impact sur le tertiaire, le commerce, les finances publiques, etc.
Si les différences entre ces acteurs marquent souvent des préjugés et des oppositions, force est de constater que les uns dépendent mutuellement des autres.
Figure 1 – Les interconnexions des acteurs sur un territoire
P. Schoch – 2018
Les collectivités, comme tous les autres acteurs territoriaux, doivent être en mesure de pouvoir gérer leurs actions publiques en tenant compte de la complexité du territoire et de l’ensemble des acteurs concernés (économiques, sociaux, politiques et publics). Les négliger, c’est aussi, à terme, prendre le risque de réduire son propre niveau d’efficacité. Sont-elles, aujourd’hui, suffisamment alertes pour anticiper, s’adapter et se projeter dans l’avenir ? En d’autres termes, comment ces collectivités peuvent-elles s’approprier l’ensemble des informations dont elles ont besoin, et gérer finement les relations avec l’ensemble des acteurs territoriaux ?
2 – LA PRISE EN COMPTE NECESSAIRE DES PARTIES PRENANTES D’UN TERRITOIRE DANS LE CAS D’UNE GESTION DE CRISE
Le Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales définit les collectivités territoriales comme des « personnes morales de droit public distinctes de l’Etat qui bénéficient à ce titre de d’une autonomie juridique et patrimoniale ». Il y a trois niveaux de collectivités : les communes, les départements et les régions.[3]
Pour chaque mission, chaque thématique concernée, il y a un niveau nécessaire d’informations pour les décisions stratégiques comme opérationnelles de la commune. Ces informations peuvent relever d’un niveau d’urgence en terme de traitement, nécessitant une veille régulière et un niveau récurrent d’information afin que des décisions opérationnelles puissent être prises. D’autres axes plus stratégiques sont mis en place et étudiés sur des durées plus longues et reposent sur des analyses territoriales plus fines. Quelques soient les missions de service public, il existe également un nombre important d’interrelations entre les autres acteurs du territoire. La Figure 2 synthétise les différentes missions de service public d’une collectivité, et plus précisément d’une commune, et met en exergue les interconnexions sur les différentes thématiques concernées. Une crise, quelle qu’elle soit, peut impacter l’une ou l’autre de ses missions. Il est donc important d’en envisager l’impact sur l’ensemble des acteurs du territoire.
Figure 2 – Interactions entre les différents acteurs d’un territoire communal autour des missions spécifiques d’une municipalité et impact du COVID-19 –
P. Schoch – 2020
CONCLUSION
Si la commune est la collectivité la plus proche des habitants et de leur besoin quotidien, les enjeux vont bien au delà d’une simple administration. Elle doit assumer une approche complexe conjuguant ses missions de service public et la représentation politique. Il est donc essentiel de conjuguer une approche fine de l’information territoriale et des réseaux d’influence locaux au sein d’une approche spécifique d’intelligence stratégique. Cette dernière peut être intégrée dans une politique territoriale en intervenant sur plusieurs axes : connaissance des acteurs territoriaux, mise en place de dispositifs d’accompagnement sur la détection des opportunités et des menaces territoriales et l’intégration d’une cohérence territoriale des actions en facilitant les liens entre acteurs privés et acteurs publics.
Comme toute organisation, une collectivité territoriale doit ainsi s’adapter à la complexité de son territoire. Elle doit néanmoins y intégrer une relation complexe bicéphale associant le poids de la dimension politique à celui de la dimension des missions de service public s’appliquant aux citoyens et autres acteurs du territoire
BIBLIOGRAPHIE
DAUDE, E. (2020), « Risques industriels : ce que l’accident de Lubrizol nous a appris », The Conversation, mis en ligne le 6 avril 2020, consulté le 15 avril 2020. URL : https://theconversation.com/risques-industriels-ce- que-laccident-de-lubrizol-nous-a-appris-133190
DAUDE, E. ; FENET, J. (2020), « La population, grande oubliée des politiques de prévention et de gestion territoriales des risques industriels : le cas de l’agglomération rouennaise », Cybergeo : European Journal of Geography (en ligne). Espace Société, Territoire, document 932, mis en ligne le 7 février 2020, consulté le 15 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/34020 ; DOI : 10.4000/cybergeo.34020
FRANCOIS, L. (2008). Intelligence Territoriale, l’intelligence économique appliquée au territoire. Paris: Lavoisier.
GUILLEMOT, D., & JEANNOT, G. (2010). « Travail du Public, travail du Privé : similitudes et différences – Premiers apports de l’enquête « Changement organisationnel et informatisation ». » Revue française d’administration publique – n°132, pp. 789-803.
KOEBEL, M. (2008), « Les élections municipales sont-elles politiques ? Enjeux locaux, enjeux nationaux », Editions du Croquant – « Savoir/Agir », 2008/1, n°3, pages 103 à 108
OFCE (2020), « Evaluation au 30 mars 2020 de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement en France », Département analyse et prévision de l’OFCE, Sciences Po, OFCE, Policy Brief n°65, 30 mars 2020.
PAUTRAT, R. (2003). Prospective des dispositifs nationaux d’intelligence économique – De l’intelligence économique à l’Economie de la connaissance. Economica.
SCHOCH, P. ; CASTEL (du), V. ; AKDIM, H. ; QUEVAL-BOURGEOIS, O. (2019), Vision stratégique 5.0 – Pilotez vos actions face aux changement disruptifs de la Société, sous la direction de P. Schoch, Editions L’Harmattan.
SCHOCH, P. (2018), L’intelligence stratégique localisée, Editions Connaissances et Savoirs, Paris, 2018
SCHOCH, P. (2016), « Le Relevant Network : fondement d’une intelligence stratégique localisée», contribution pour le colloque « En quête de territoire(s) / Looking for territories » organisé par le Collège International des Sciences du Territoire (CIST), 17 mars 2016, Grenoble, France.
[1] PAUTRAT, R. (2010), « Portrait : la définition de l’intelligence économique selon le Préfet Rémy Pautrat ». Consulté le décembre 27, 2010, sur Partail de l’I.E.: htpp://www/portail-ie.fr/a-propos/interviews/portrait- la-definition-de-lintelligence-economique-selon-le-prefet-remy-pautrat.html
[2] Acteurs de l’ESS : acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire
[3] LE MINISTERE DE LA COHESION DES TERRITOIRES ET DES RELATIONS AVEC LES COLLECTIVITES (2020), « Compétences des collectivités locales », mis à jour le 03/02/2020, consulté le 07/04/2020 sur https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/competences-des-collectivites-locales
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