Les idées reçues : entre mythe et réalité, les schémas de notre pensée

Les idées reçues : entre mythe et réalité, les schémas de notre pensée

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Thierry Atzeni, Université Savoie Mont Blanc et Sonia PELLISSIER, Université Savoie Mont Blanc

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Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Lorsque Jérémy a quitté Aurore pour une femme quinze ans plus jeune que lui, son entourage a logiquement évoqué la crise de la quarantaine. Les colères à répétitions de papy Jean ? Cela ne fait aucun doute qu’elles sont liées à l’insatisfaction qui vient en vieillissant. Quant à l’ulcère du cousin Stéphane, pas étonnant chez quelqu’un d’aussi stressé ! Que Camille stresse avant son examen, cela va lui faire perdre ses moyens et échouer ! Et puis cette personne agressée dans la rue par un « déséquilibré » ! Rien de moins surprenant, on sait bien que les personnes atteintes de maladie mentale sont dangereuses…

Autant d’explications apparemment satisfaisantes qui permettent de répondre à la complexité de ces différentes situations. Mais ces explications, aisément admises par tout un chacun, sont-elles scientifiquement corroborées ou s’agit-il uniquement d’idées reçues ?

Naissance et développement des idées reçues

Les situations que nous rencontrons au quotidien possèdent un caractère plus ou moins complexe et, de ce fait, entaché d’un certain degré d’incertitude. Plus une situation est complexe, plus il est difficile d’en appréhender les causes et donc de l’expliquer ou de se l’expliquer. Or, s’adapter à notre environnement et à ce que nous sommes en train de vivre, nécessite que nous puissions trouver du sens, que nous puissions expliquer les choses.

Ainsi, face à ces situations dont la complexité compromet l’accès aux causes profondes et réelles, il arrive que nous fabriquions des explications apparemment rationnelles qui permettent de réduire cette complexité et l’incertitude qui souvent l’accompagne. Ces explications ont pour caractéristique d’être acceptées par toute une collectivité d’individus ; mais pour rationnelles qu’elles paraissent, elles s’apparentent dans certains cas à des idées reçues parce que fondées sur l’intuition plutôt que sur des faits analysés et vérifiés.

Ces idées reçues, pour le moins non vérifiées selon les standards scientifiques, mais néanmoins fortement crédibles, apportent une certaine réassurance face à la complexité et l’incertitude en clarifiant et simplifiant nos idées. Ces idées, totalement admises nous sont transmises par notre environnement socio-culturel et leur degré de véracité est testé selon la logique de la coïncidence au cours de la vie de l’individu.

La carte d’identité des idées reçues

En psychologie, une idée reçue est définie comme un ensemble de connaissances à propos d’un objet donné. Par exemple, les connaissances que nous possédons sur la propagation du son. Ces connaissances – certaines vraies (le son se déplace en ondes sonores), d’autres fausses (les vaisseaux spatiaux font de très beaux bruits dans l’espace) – s’agglomèrent pour former une structure (ou un schéma) de connaissances qui, comme nous l’avons vu, peut être utilisée afin de trouver une explication rationnelle face à une situation dont les causes réelles nous échappent.

La carte d’identité des idées reçues comporte quatre caractéristiques qui lui sont propres.

  • Sa fréquence : une idée reçue a la particularité d’être répandue.

  • Son caractère d’évidence : elle apparaît comme quelque chose de démontré.

  • La facilité avec laquelle elle peut être admise qui la rend agréable.

  • Enfin, elle revêt souvent une forme anecdotique, voire amusante, qui contribue à la facilité avec laquelle elle est acceptée et véhiculée.

Un ancrage profond

On peut ajouter, en outre, qu’une idée reçue sera d’autant mieux acceptée et ancrée dans le système de croyance d’un individu que celle-ci convient à notre façon de penser ou de voir les choses et se conforme à nos dispositions. De fait, l’idée reçue est captée au travers d’un filtre émotionnel qui l’ancre littéralement dans notre vision du monde sans jugement critique.

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« Ceci n’est pas une pomme », René Magritte (1959).
Cea/Flickr, CC BY

Les idées reçues s’imposent généralement de façon non consciente. Autrement dit, elles naissent et se construisent de manière implicite, sans que nous ayons un réel contrôle sur la façon dont nous les adoptons et encore moins sur leur contenu. La conséquence principale en est que leur fondement n’est pas, ou rarement, mis en doute.

Pour le dire plus simplement, lorsque nous croyons à une idée particulière, il est difficile, sinon impossible de nous en détourner. En outre, leur ancrage profond dans la culture réduit à néant toute tentative de les contrer et cela même lorsque des preuves solides démontrent qu’il s’agit de contre-vérités. On peut alors se demander quelles sont les raisons qui font que ces idées, ces schémas de pensées, ces croyances se maintiennent contre vents et marées ?

Pourquoi les idées reçues ont-elles la peau dure ?

La réponse à cette question se trouve en partie dans les éléments que nous venons d’évoquer, à savoir le caractère agréable, évident (voire simpliste) et souvent amusant des idées reçues, ainsi que leur installation par des processus d’apprentissage non conscients. Mais cela n’est pas suffisant pour expliquer qu’elles puissent s’imposer et surtout perdurer face aux arguments scientifiquement étayés.

Une bonne partie de l’explication résiderait dans les caractéristiques émotionnelles liées aux idées reçues. Pour qu’une idée s’impose, pour qu’elle devienne une véritable croyance populaire, il lui faut au départ une dimension émotionnelle suffisamment importante pour résister aux assauts conjugués de la logique et de la rationalité.

Le degré auquel nous croyons – ou pas – à une idée donnée est largement influencé par la propension que nous avons à l’attachement. Nous nous attachons aux personnes, aux animaux, aux objets, mais aussi aux idées. Et cela non pas de manière froide et raisonnée, mais souvent de façon tout à fait irrationnelle. Dans le cas des idées, nous nous attachons à celles que nous jugeons émotionnellement plaisantes et rejetons en bloc la plupart de celles auxquelles nous sommes émotionnellement « allergiques », et ce d’autant que l’objet ciblé est complexe.

Cette dimension émotionnelle du jugement s’exprime à travers un biais auquel nous sommes tous sensibles : le biais de confirmation. Ce biais nous conduit à accorder plus d’attention, mais aussi plus de crédit, aux informations dans notre environnement qui soutiennent nos croyances actuelles. Autrement dit nous sélectionnons, de façon majoritairement non consciente, les preuves qui étayent les idées auxquelles nous croyons déjà et inversement nous dépensons une énergie folle à ignorer celles qui pourraient contredire ces idées.

La nouvelle conquête de Jérémy n’est-elle pas une preuve flagrante que la crise de la quarantaine est une réalité ? Que quinze autres couples de mon entourage aient atteint cet âge sans encombre ne constitue aucunement une preuve du contraire. Le biais de confirmation pourrait être un élément fondamental pour expliquer la persistance des idées reçues et la difficulté à les combattre. Mais finalement, est-il vraiment nécessaire de les combattre et pourquoi ?

Pourquoi combattre les idées reçues ?

Combattre les idées reçues laisse à penser qu’elles sont unanimement fausses, ce qui n’est pas le cas : le croire serait une idée reçue ! Plus exactement, dans la mesure où une idée reçue est, comme nous l’avons vu, une agglomération de connaissances, certaines de ces connaissances peuvent être parfaitement exactes.

Nous avons préalablement souligné le fait que nous vivons dans un environnement complexe et notre organisme lui-même est une structure complexe. Prenons le stress par exemple ; qu’il puisse – en fonction de sa nature, de son intensité, de sa durée, de nos capacités de résistance, voire de son interprétation – être impliqué dans les ulcères n’est pas complètement faux. Pour autant, le stress n’a pas que des conséquences négatives, loin s’en faut. La confrontation au stress et les réactions physiologiques qui en découlent sont en elles-mêmes nécessaires et inhérentes à la vie, et dans les situations difficiles telles qu’un examen par exemple, ces réactions s’avèrent plutôt vertueuses, tout dépend de la manière dont on interprète la situation.

Par ailleurs, les idées reçues présentent une fonction intéressante à souligner qui consiste à renforcer l’homogénéité d’un groupe social donné en favorisant l’interaction des individus qui composent ce groupe autour d’une croyance donnée sous la forme d’une norme social et/ou culturel. Ceci d’autant plus qu’elles vont donner du sens à des phénomènes dont la complexité est importante. Par exemple, considérer que le vieillissement est responsable de la diminution des capacités de mémoire permet de simplifier un phénomène qui implique bien d’autres causes que le simple vieillissement biologique. Alors, pourquoi combattre ces idées ?

Outre le rétablissement de la vérité qui à elle seule apparaît comme une raison suffisante, combattre les idées reçues s’avère nécessaire lorsqu’elles conduisent les individus à adopter des comportements ou des attitudes néfastes. En l’occurrence, certaines de nos croyances peuvent conduire à la stigmatisation d’un groupe ethnique particulier, d’une catégorie d’âge particulière ou à des attentes particulières en fonction du genre de l’individu.

Ainsi, continuer de penser que les garçons réussissent mieux que les filles dans les filières scientifiques, que les personnes atteintes de troubles mentaux sont dangereuses ou que les homosexuels sont psychologiquement malades constituent des idées qu’il faut combattre. Il faut les combattre parce qu’elles sont fausses, mais aussi et surtout parce qu’elles contribuent à maintenir une inégalité d’une injustice profonde entre les individus.

Combattre les idées reçues nécessite de développer sons sens critique, de savoir se documenter auprès de sources sérieuses et d’apprendre à remettre en question ses propres croyances.The Conversation

Thierry Atzeni, Maître de Conférences en Psychologie, Université Savoie Mont Blanc et Sonia PELLISSIER, Enseignant-chercheur, Maître de Conférences en Psycho-Physiologie, Université Savoie Mont Blanc

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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