Droits des femmes : “La valorisation des femmes en science est insuffisante” – Karin Tarte
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars, Karin Tarte, professeure d’immunologie à la faculté de médecine de Rennes et présidente du Comité d’orientation de la recherche de la Fondation ARC, partage son point de vue sur la valorisation des femmes en science. Cette figure féminine marquante de la recherche en cancérologie donne également des conseils aux jeunes femmes qui souhaitent faire carrière dans la science !
En cette Journée internationale des droits des femmes, comment évaluez-vous la valorisation des femmes dans la recherche scientifique ?
Karin Tarte : Elle est insuffisante. Par exemple, je suis en ce moment même à un meeting aux États-Unis et la grande majorité des speakers (environ 75%) sont des hommes. Cela n’est pas rare, c’est même la règle. Cela pose le problème de la représentativité des femmes dans les activités les plus visibles pour la communauté. Cela est d’autant plus étonnant que dans le domaine de la recherche médicale, beaucoup de chercheurs sont médecins et qu’aujourd’hui 80% des étudiants en médecine sont des étudiantes… C’est donc bien après que se pose le problème.
D’ailleurs à l’Inserm, si 50% des jeunes recrutés sont des femmes, ce pourcentage baisse au fur et à mesure que se fait l’évolution vers les directeurs de recherche, les chefs d’équipe et, encore pire, les directeurs d’unités de recherche. Certains centres de recherche ont ainsi 80% de leurs chefs d’équipe qui sont des hommes, sans que cela ne gêne personne. Il y a sans doute aussi des stéréotypes très ancrés, y compris chez les femmes elles-mêmes qui ont parfois plus de difficulté à se mettre en avant, ce qui est indispensable dans nos métiers.
Plus spécifiquement, quelles sont les initiatives de la Fondation ARC pour encourager les femmes dans le domaine de la recherche et de la cancérologie ?
Karin Tarte : Tout d’abord, une vraie attention est apportée à la représentation féminine dans les différentes instances scientifiques de l’ARC. Au-delà, les opérations à forte visibilité (Leader en oncologie ou Prix Griffuel) sont très régulièrement attribuées à des femmes et cela est discuté de façon claire et volontaire au niveau des comités correspondants. La Fondation ARC ne peut pas se substituer aux tutelles ni pallier les dysfonctionnements existants dans le système de recherche, mais peut être attentive à la façon de mettre en avant les parcours remarquables de chercheuses.
En tant qu’ex-présidente du Conseil scientifique de la Fondation ARC et présidente du Comité d’orientation de la recherche depuis 2023, comment percevez-vous l’impact de ces initiatives en faveur de la parité ?
Karin Tarte : Pour moi, et au risque de paraître vieux jeu, le problème n’est pas tant celui de la parité à tout prix, mais bien de rendre très visibles les femmes (et elles sont nombreuses en recherche) qui mènent des parcours de très haut niveau mais sont moins mises en avant sur des postes ou activités de haute valeur ajoutée. Cela permettrait aux autres femmes mais aussi aux hommes de se dire que cela est possible et qu’il faut avancer en ce sens. La question aura évolué le jour où ces questions ne seront pas posées seulement par les femmes mais bien par l’ensemble de la société.
Par ailleurs, en tant qu’auteure de plus de 150 publications scientifiques, vous avez une perspective unique sur le paysage de la recherche. En France, où moins de 40% des auteurs de publications scientifiques sont des femmes, comment expliquez-vous cette disparité entre hommes et femmes ?
Karin Tarte : L’un des éléments limitant dans les carrières des femmes reste leur place dans la famille. Il est très difficile de laisser son enfant en bas âge notamment pour partir en congrès présenter ses résultats (un élément important pour rendre son travail visible) alors qu’il reste très ancré dans l’imaginaire collectif qu’un enfant jeune a besoin de sa mère (et bizarrement pas de son père !). D’où une vraie culpabilité chez les jeunes mères qui ne sont ni assez présentes au laboratoire ni assez disponibles pour leurs enfants. On parle beaucoup en ce moment des jeunes sportives qui ont des enfants, mais c’est la première fois cette année que je vais participer en juin à un meeting international proposant aux femmes de les aider financièrement pour venir avec leur enfant, avoir une nounou, etc. Ça, c’est vraiment un sacré changement ! À quand la même chose en France pour stimuler les jeunes femmes à participer aux commissions, aux meetings… Cela a un coût mais serait sans nul doute rentable en termes de productivité et d’innovations scientifiques.
L’objectif pour nous n’est pas juste de publier mais de publier en dernier auteur (c’est-à-dire en tant que leader du projet mené) et c’est ce passage à un chercheur senior, chef d’équipe, qui est fortement retardé chez les femmes. J’ai reçu en 2015 un prix international délivré tous les 3 ans à une immunologiste européenne chef d’équipe. J’ai eu à remplir un questionnaire et quelle n’a pas été ma surprise de découvrir que mes prédécesseuses avaient toutes répondu qu’elles n’avaient pas souffert d’être des femmes dans la recherche mais qu’elles n’avaient pas eu d’enfant. De mon coté, 2015, c’est justement l’année de naissance de ma fille… à 43 ans… Je suis arrivée avec elle à la remise de ce prix (elle avait 6 mois) et cela a fait sensation ! L’Inserm vient de décider cette année de prolonger le CDD des jeunes mamans de la durée de leur congé maternité… Il était grand temps quand on sait l’importance d’être prêt pour les concours de recrutement !
Quels conseils donneriez-vous à une jeune femme aspirant à une carrière scientifique ? Quelles compétences clés devrait-on développer dans les écoles ?
Karin Tarte : Je donnerais le même conseil à une femme et à un homme en réalité : faites de la recherche si cela vous passionne. C’est un métier incroyablement excitant ! Au-delà, il faut être motivé, prêt à travailler énormément, avoir une bonne dose de persévérance. Rien de spécifique aux femmes. Par contre, il ne faut pas hésiter à anticiper les questions qui vont nécessairement se poser en termes de choix de vie personnelle et ce tout au long de sa carrière. N’ayez pas honte d’être brillante, ni de vouloir tout en même temps, la reconnaissance scientifique et une vie personnelle épanouie quelle qu’elle soit, ne cédez pas aux injonctions contradictoires et assumez vos choix, ce sont nécessairement les bons. Donc ayez confiance en vous !
Pour finir, vous avez reçu plusieurs prix nationaux et internationaux. Pourriez-vous expliquer quels sont les objectifs de vos travaux ?
Karin Tarte : Les travaux de l’équipe que je dirige cherchent à comprendre comment se développent les lymphomes, des cancers qui touchent les ganglions. Nous nous intéressons tout particulièrement à la niche de la tumeur, c’est-à-dire l’ensemble des cellules et des signaux qui entourent les cellules cancéreuses, et leur permettent de survivre et de résister aux traitements tout en bloquant les cellules anti-cancéreuses présentes localement. Nous espérons ainsi identifier de nouvelles cibles thérapeutiques dans ces cancers fréquents dont le pronostic, bien que s’étant énormément amélioré ces dernières années, reste péjoratif chez certains types de patients.
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