Sciences de gestion : « Les entreprises exportatrices ont besoin de recul pour s’installer sur un nouveau marché »

Sciences de gestion : « Les entreprises exportatrices ont besoin de recul pour s’installer sur un nouveau marché »

ITW florence gervais et thomas aymard

Florence Gervais et Thomas Aymard sont enseignants à l’IDRAC Business School à Lyon. À partir de l’étude des stratégies d’entreprises de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ils discutent les principales théories en management international pour pouvoir accompagner efficacement les entreprises exportatrices. Cette démarche associe la recherche académique au conseil en entreprise pour proposer une approche innovante et renouveler le monde du conseil. 

Okay Doc a interviewé ce duo de chercheurs pour mettre en avant une dynamique vertueuse qui crée des synergies entre la recherche académique et le conseil en entreprise.

Pouvez-vous vous présenter succinctement ?

Thomas Aymard : Je m’appelle Thomas Aymard et j’enseigne la stratégie d’entreprise à l’IDRAC Business School. Ce qui m’intéresse particulièrement c’est l’application des théories aux réalités des entreprises. Cette vision est à la source des projets entrepreneuriaux qui sont les miens. 

Florence Gervais : Je m’appelle Florence Gervais. Je suis professeur en International Business à l’IDRAC Business School. J’observe depuis plusieurs années les ressorts et l’évolution des stratégies des PME à l’export, et aussi, bien sûr, les difficultés auxquelles elles doivent faire face. Mon moteur est d’élaborer des outils et des supports pédagogiques pour accompagner les responsables export actuels et futurs dans leur mission.

Quelle sont vos thématiques de recherche ?

Florence Gervais : Nous nous intéressons aux PME industrielles classiques, qui représentent environ les deux tiers des PME exportatrices en France. Ce sont des entreprises qui s’internationalisent progressivement, en ouvrant un marché après l’autre. Elles proposent majoritairement des produits finis à leurs clients étrangers et réussissent à l’export en s’adaptant au contexte local.

Pour ces PME, le processus d’entrée sur de nouveaux marchés est un moment clé de leur internationalisation. Et on observe (les praticiens comme les chercheurs) qu’il est source de tâtonnements, et parfois de revirements. L’objectif de notre étude est de proposer aux PME une démarche fondée sur le « Business Model Canvas » d’Osterwalder et Pigneur pour les accompagner lors de l’entrée sur un nouveau marché, leur permettre de valider leurs stratégies voir même de les adapter.

Thomas Aymard : Le business model est un outil qui est représentatif de la stratégie d’une entreprise qui s’internationalise. C’est en prenant en compte toutes les facettes opérationnelles du business model que nous avons trouvé une complémentarité entre les thématiques de recherche de Florence et les miennes. Dans nos recherches nous nous sommes aperçus que les entreprises exportatrices avaient besoin de prise de recul pour envisager leur installation sur un nouveau marché. La coopération pour produire du conseil appliqué nous a donc parue évidente.

Quelles sont les résultats de votre étude ?

Florence Gervais : A partir des résultats de notre recherche action conduite avec trois PME industrielles de la région Auvergne Rhône Alpes, Fermob, Maviflex et Juratoys, nous avons validé une démarche export classique et une démarche de développement d’un business model selon la méthode préconisée par Osterwalder et Pigneur. 

L’entrée d’une PME industrielle sur un marché se structure classiquement en quatre étapes : premièrement, l’entreprise conduit une phase de diagnostic export pour déterminer si elle est prête à se lancer à l’international et sur le marché ciblé en particulier.

Ensuite, elle approfondit sa connaissance du marché local; elle choisit en troisième lieu une stratégie d’entrée, c’est-à-dire un mode d’entrée, qui se révèle être le plus souvent un agent ou un distributeur et un plan marketing et commercial qui comporte des éléments d’adaptation au marché local. Enfin, en quatrième et dernier lieu, elle évalue la faisabilité de cette stratégie et si cette évaluation est positive, elle met en œuvre sa stratégie. 

Lors de la recherche action, nous avons élaboré avec les trois entreprises participantes un canvas « export » afin d’anticiper et de visualiser les changements de business model nécessaires pour répondre aux attentes de chacun de leurs marchés cibles. Ce processus s’est avéré combler plusieurs faiblesses de la démarche classique.

La production d’un canvas « export » apporte tout d’abord une visibilité sur les changements structurels et organisationnels à mettre en œuvre pour réussir cette expansion internationale, facilitant l’évaluation du coûts de l’entrée sur le marché et sa faisabilité.

Cette démarche permet en outre de sortir du prisme marketing vente, souvent trop étroit pour visualiser toutes les modifications nécessaires au fonctionnement efficace de l’entreprise sur le marché cible. Enfin, les directeurs exports ont estimé qu’il constituait un outil de communication et de pédagogie utile pour négocier l’allocation de ressources avec la direction de l’entreprise. 

Démarche traditionnelle et Canvas « export« 


Etape 1Etape 2Etape 3Etape 4
Démarche traditionnelleDiagnostic exportEtude du marché international cibleDécisions concernant le mode d’entrée et la stratégie marketing- vente localeMise en œuvre de la stratégie
Canvas « export »Elaboration d’un canvas de départ « national »Identification des facteurs clés du marché cible.Identification des dimensions du business model concernées par l’intégration des nouveaux facteurs clés de succès. Production d’un canvas « export »Evaluation de la faisabilité et du coût des modifications de business model nécessaires à une entrée réussie sur le marché. Mise en œuvre de ces modifications structurelles, si la stratégie d’entrée est validée.
Source : Thomas Aymard et Florence Gervais

Comment utilisez-vous cette étude pour conseiller les entreprises qui s’internationalisent ? 

Thomas Aymard : Aujourd’hui, quand l’entreprise se lance dans une démarche, les limites de son champ d’action dans sa capabilité à faire évoluer son business model sont souvent dues aux hommes qui la composent. Les personnes en charge de l’adaptation d’un business model vers une stratégie d’export sont souvent elles-mêmes limitées par leur poste.

Elles ne peuvent pas forcément explorer tous les changements structurels qui s’imposent à de telles évolutions. Lorsqu’il est nécessaire de réaliser de telles évolutions, les différents interlocuteurs internes, trop souvent enclavés dans la rigidité d’un organigramme, peuvent également avoir des barrières. Cette situation de « Lock-in » est la résultante d’incompréhensions, et de mauvais choix réalisés lors de la conception des stratégies d’export. 

L’utilisation du concept de business model et les outils qui en découlent, permet de rendre ce travail de recherche, plus opérationnel et plus proche de la réalité de l’entreprise. Ces outils s’avèrent être également des soutiens de poids lors des négociations internes avec les différentes parties prenantes de l‘exportation de l’entreprise. 

En définitive, cette démarche renforce l’efficacité des stratégies développées par les PME à internationalisation graduelle et limite les risques d’échec.

Finalement, quel est votre regard sur la performativité de la recherche en sciences de gestion ? 

Thomas Aymard et Florence Gervais : Il nous semble que la recherche en sciences de gestion est académiquement performante, mais pas toujours ciblée sur les bonnes questions. De nombreux problèmes opérationnels des entreprises ne sont pas encore résolus, comme par exemple la compréhension dees facteurs clés de succès d’un marché cible ou préparer son entreprise à se transformer pour réussir son internationalisation. 

Comment les entreprises peuvent-elles se saisir des avancées de la recherches en sciences de gestion ?

Thomas Aymard et Florence Gervais : La lecture des articles de recherche est très aride pour un manager. De ce fait, l’entreprise est quasiment obligée de se tourner vers des vulgarisateurs. Et là se posent deux problèmes. Premièrement, les vulgarisateurs sont peu nombreux et pas très visibles. Deuxièmement, ils ne retiennent que les théories les plus populaires et parfois les tronquent ou les biaisent en voulant les simplifier.

Du coup, lorsque les entreprises s’informent, elles n’ont accès qu’à certains concepts et outils, dans une version « light », alors que d’autres recherches mériteraient d’être connues et intégrées par les entreprises. Il y a donc un vrai rôle de médiation des consultants et une responsabilité de transmettre le mieux possible les résultats de la recherche. 


Par Charles Aymard, responsable du pôle Conseil & stratégie en innovation chez Okay Doc.


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