Santé mentale au travail : brisons les tabous !
Dans une interview accordée à Okay Doc à l’occasion de la Journée Mondiale de la santé mentale le 10 octobre, Roland Guinchard, fondateur de Workcare et conférencier, plonge au cœur des enjeux de la santé mentale au travail. Fort de son parcours en tant que psychologue clinicien et psychosociologue, thérapeute de groupe et psychanalyste, il a élargi son champ d’action vers l’audit social stratégique et le conseil en entreprise.
Avec une attention particulière portée à l’optimisation de l’ambiance de travail, au soutien des managers et à l’engagement au travail, il offre des perspectives uniques pour améliorer la qualité de vie au travail et prévenir ou éradiquer les risques psychosociaux.
Liste des questions
Vous avez une vaste expérience en psychologie et en psychosociologie. Pourriez-vous nous parler de l’importance de la santé mentale au travail ?
Roland Guinchard : Pour aller vite on pourrait distinguer :
- Ceux qui travaillent et sont contents de le faire, j’espère sincèrement que c’est votre cas !
- Ceux qui, ne peuvent travailler mais voudraient pouvoir le faire, chercheurs d’emploi, bien sûr mais aussi, ce qui est différent encore, personnes en arrêt ou sujets présentant un handicap)
- Ceux qui ne vont pas bien, psychologiquement mais qui travaillent ou doivent travailler cependant (anxieux)
- Ceux qui allaient bien avant que certaines conditions professionnelles, relationnelles ou morales ne se modifient et les déséquilibrent au point de les déprimer
- Ceux qui ne savent pas ou ne font pas ou n’ont jamais su ce qu’iIs aimeraient faire au travail (frustrés, névrosés)
Sans compter :
- Ceux qui, plus rares, ne trouvent jamais de sens réel au fait de travailler, ne s’y intéressent pas durablement ou s’intéressent à trop de choses…
Et enfin :
- Ceux qui travaillent mais gâchent ou empoisonnent systématiquement le milieu professionnel, empêchent sournoisement ou explicitement les autres de travailler et deviennent dangereux pour cette raison.
Cela signifie que la santé psychologique des uns et des autres couvre un champ entrepreneurial beaucoup plus vaste que la seule « maladie mentale » qui en elle-même est déjà « un beau morceau » mais reste assez rare en entreprise !
Vous avez évolué de la psychothérapie à l’audit social stratégique et au conseil en entreprise. Comment ces différentes étapes vous ont-elles permis de mieux aborder les enjeux liés à la santé mentale des employés ?
Roland Guinchard : C’était pour moi, une évolution inéluctable. Une fois posée la question du positionnement psychique de l’individu, dont la maladie mentale, on passe forcément à l’entourage familial, puis social, puis sociologique, puis socio-professionnel.
Des deux domaines essentiels qui occupent un individu social (l’amour et le travail) il se trouve que c’est le lien au travail qui m’a occupé davantage et sur lequel j’ai écrit également.
J’ai pu intervenir à France Télécom après « l’affaire », c’est là que j’ai commencé à imaginer les solutions adaptables à tous les niveaux, des petites ou grandes entreprises, en partant de leurs contraintes spécifiques de rapidité d’adaptation, d’économie, d’efficacité et tenant compte aujourd’hui de QVT et santé / bien-être au travail.
Les risques psychosociaux sont un défi majeur dans de nombreuses organisations. Comment abordez-vous ces risques et quelles sont vos approches pour les éradiquer et promouvoir la santé mentale au travail ?
Roland Guinchard : Comme psychologue, psychothérapeute puis comme coach j’ai commencé à aborder ces risques de façon individuelle. Mais on en arrive vite à une absurdité : la moitié du monde qui coache l’autre et vice versa !
Ma formation de thérapeute de groupe m’a fait imaginer un temps des possibilités du type « manager coach » face au groupe de travail, mais c’est là un mélange des genres qui ne fonctionne que « très exceptionnellement ».
C’est pourquoi j’ai étudié avec des dirigeants et des managers, les solutions qui permettent « à la racine » de faire s’exprimer tous les protagonistes de l’entreprise en partant de 3 principes :
- « C’est celui qui travaille qui sait : il faut donc demander à tous individuellement ce qu’ils éprouvent sur les 21 critères du lien favorable avec le travail »
- Cela doit être exhaustif, rapide, confidentiel pour les individus, discuté ensemble pour les résultats d’équipe, programmés progressivement à court moyen ou long terme.
- Cela doit et peut être fait tous les ans. L’obligation légale du volet RPS du document unique rencontre alors les objectifs de progrès pour les salariés et l’entreprise.
Vous êtes conférencier et vous traitez des modifications du rapport au travail. Pouvez-vous expliquer en quoi les changements sociétaux et technologiques influencent la santé mentale au travail ?
Roland Guinchard : Il y a une différence entre la santé mentale et le confort psychique qui en est pourtant la prémisse. Ce qui change dans le rapport au travail ? En Europe (du moins), la grande guerre une fois finie, on travaillait pour attendre du travail une sécurité minimale, de survie. Cette sécurité (quasi) acquise, on a espéré et obtenu du travail davantage de « confort » dans les conditions d’exercice. Ce confort une fois devenu plus accessible, fait apparaître l’attente d’une bonne ambiance au travail, c’est-à-dire d’un travail individuellement adapté aux travailleurs.
Le retour de Covid a bien montré ce qui était attendu : une ambiance de travail indiquant que celui-ci doit s’intégrer à la vie de chacun avant de répondre à des besoins collectifs. C’est le symptôme « du marchand de glace en vacances pendant les vacances ».
Le résultat reste indéniablement qu’une bonne ambiance de travail pourvue de valeurs spécifiques devient une exigence sociétale, donc un critère incontournable qui oriente les parcours professionnels, d’autant que la révolution technologique autorise de plus en plus régulièrement à travailler depuis son lieu de vie ou de vacances Même si en retour cela oblige à s’adapter très rapidement à des évolutions brutales, de métiers nouveaux et à en voir d’autres devenir évanescents et disparaître.
Cela peut apparaître confortable mais faire le deuil « d’avant » crée aussi beaucoup d’anxiété. Il est vrai que les plus psychiquement fragiles paniquent ou s’effondrent, décompensent. Il est sûr que certains se découvrent moins adaptables que ce qu’ils pensaient et que d’autres, étonnés, s’adaptent et apprennent…
Vous proposez notamment une conférence en rapport avec le « workcare ». Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce concept et sur la manière dont il peut contribuer à améliorer l’engagement des employés et à la santé mentale au travail ?
Roland Guinchard : Le ”workcare” (prendre soin du lien au travail) est un mode d’approche devenu un outil permettant à tous, de percevoir dans l’entreprise la façon dont s’organisent les indicateurs d’ambiance de travail de façon globale, par services et par équipes.
Les principaux indicateurs sont : discours, autorité, projet, conditions de travail, management, métier, image de l’entreprise. Une fois par an pendant 15 à 20 minutes chacun est invité à se situer vis-à-vis de ces critères. Il en résulte un positionnement individuel – qui reste confidentiel, restitué au répondant s’il le demande au cabinet – mais aussi, bien sûr des résultats globaux pour l’entreprise (accessibles à tous) et les résultats par équipes ou services, partagés et discutés par ladite équipe ou ledit service, pour qu’ils en tirent eux-mêmes les conséquences et les plans d’action pour l’année. Mettre en œuvre ces modifications discutées a un effet positif massif et durable sur l’engagement.
Les tailles et les cultures d’entreprise peuvent varier considérablement. Comment adaptez-vous vos approches et vos conseils en fonction de ces différences pour garantir des résultats optimaux en matière de santé mentale au travail ?
Roland Guinchard : Les entreprises de nos clients vont de 6 à 1500 employés. Dans ce dernier cas, on peut appliquer l’outil progressivement pour fonctionner selon les possibilités ou les besoins internes. Il faut le faire annuellement pour repérer et limiter les risques humains, percevoir en même temps les progrès de qualité et de productivité et mettre en œuvre progressivement mais de façon continue les plans d’action pour ces domaines qui ne peuvent être séparés.
En conclusion, pour les lecteurs qui souhaitent une amélioration de la santé mentale au travail, quelles sont les étapes clés que vous recommanderiez ? Pourquoi les entreprises devraient-elles davantage solliciter les conférenciers en psychologie ?
Roland Guinchard : Les étapes clés ? La première consisterait à demander une démonstration par internet, workcare.fr, avant de découvrir grâce à l’outil les caractéristiques de l’ambiance dans l’organisation. Il est plutôt rassurant et instructif de pouvoir préciser ou amender les intuitions des dirigeants, cadres et employés sur ce sujet. En sus de fournir la part QVT/RPS du DUERP annuel, l’outil Workcare permet surtout de savoir comment et où mettre en œuvre précisément les solutions communes sur les sujets qui lient production et risques psychosociaux. Il permet de constater que faire ainsi du lien entre les progrès économiques et humains encourage tout le monde, calme les personnes difficiles et décourage les dangereux.
Le psychologue ?
Le travail forme avec l’amour les deux fondamentaux de l’espèce humaine. Le psychologue fait l’effort en permanence de rendre accessible les fondamentaux humains du travail. C’est un sujet qui peut intéresser des entreprises qui veulent se développer et pouvoir à nouveau recruter ? Après tout, obtenir une super ambiance de travail attire et fidélise…
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