Les Routes Mayas, un témoignage de l’architecture maya

Les Routes Mayas, un témoignage de l’architecture maya

Clément Goullin, spécialiste de l'architecture Maya

Découvrez l’importance des routes dans l’architecture maya et la société de cette civilisation ancienne, ainsi que les multiples fonctions qu’elles remplissaient.

Article écrit par Clément Goullin, Archéologue spécialiste de la civilisation maya, fondateur de l’Agence Archéologique et conférencier chez Okay Doc.

Lorsque vous demandez à un archéologue quel est son sujet de mémoire ou de thèse, la réponse se rapproche plus d’une partie de kamoulox ou d’une invitation à un dîner le mercredi soir qu’à une révolution complète de notre perception de l’histoire.

Je ne déroge pas à la règle et j’ai décidé de travailler entre autres sur les routes mayas. Pourquoi les routes me direz-vous ? Il n’y a pas de grand mystère à ce sujet, après tout il en existe sur toute la surface du globe et sert à relier un point A à un point B.

Oui tout à fait, vous avez raison. Le sujet est donc clos, merci pour votre temps de lecture…

Cependant, imaginez une civilisation ou l’absence d’animaux de trait a rendu inutile l’usage de la roue, ou au sein de cette même civilisation, des centres civico-cérémoniels vont pourtant construire de nombreuses chaussées. Une seule route de 175 m sur 6 et d’une hauteur de plus d’un mètre représente un travail de presque 14 000 jours/homme (soit presque 1 mois de travail pour 600 personnes). Pourquoi ? À quelle fin ? C’est toute la réflexion de mon travail.

Les sacbeob mayas : un système de routes complexe dans l’architecture maya

Il faut tout d’abord commencer par le commencement. Les Mayas construisaient des chaussées, ils appelaient ça des sacbeob, sacbe au singulier. 

Dans la langue yucatèque, il n’y a pas de distinction entre un sentier pédestre et une chaussée construite. On utilise le mot beh pour les désigner et c’est l’adjonction d’un adjectif qui spécifie la nature de la voie. Cependant, il y a une distinction à faire entre les routes et les chemins. La route représente un investissement formel : elle est le reflet de l’importance d’un itinéraire, pour Trombold, elle est caractérisée par une largeur définissable, une construction précise et une forme linéaire définie.

De l’autre côté, les chemins et les sentiers peuvent être décrits comme des structures utilitaires vernaculaires avec des fonctions économiques de base ; en cela, ils s’opposent aux routes qui ont des caractéristiques politiques, cérémonielles et symboliques plus marquées.

Au sens étymologique le terme sakbeh (ou sakbih) se réfère à la surface blanche des chaussées sak et au terme beh qui signifie chemin. Le terme beh peut recevoir plusieurs qualifications qui modifient sa signification :

route droite : t’ubul beh– route secondaire : xax beh
– route large : noh beh– route de pierre : betun
– route étroite : ch’ux beh– route remplie : but’bil beh
– route blanche ou route construite : sakbeh– route courte et droite : tohbe
– route envahie de végétation : lob behcarrefour : kan beh (quatre routes)
– sentier non nettoyé : luth beh
Table. : Différents termes employant le mot beh en maya

Nous trouvons les termes de sakbeh et de betun dans les dictionnaires de la période coloniale comme équivalents de calzada en espagnol qui signifie « route principale ». De plus, le mot beh a d’autres sens possibles, quatre au total : 

  • Route ou chemin, transit, canal, chemin spirituel 
  • Jour, le jour calendaire ou la durée d’un trajet en jours 
  • Travail, profession, bons travaux ou bureau gouvernemental 
  • Vie, à laquelle sont liés les concepts de bien-être, prospérité, parcours de vie, destin.

Le terme de sakbeh lui-même signifie « route blanche », mais également « voie lactée ». C’est la route blanche du ciel qui est utilisée comme un chemin céleste, s’étendant du ciel à la terre.

Les Mayas ont édifié de grands établissements avec parfois plusieurs groupes architecturaux monumentaux, les sites et les groupes pouvant être reliés par des chaussées surélevées. Cette volonté de joindre entre eux les groupes monumentaux à l’intérieur des sites par des chaussées existe autant au Peten qu’au Yucatán. La chaussée constituerait un élément central dans la pensée et la pratique maya.

Elle a une fonction aussi bien pratique que symbolique.

Elle sert aussi bien aux déplacements des marchandises et des personnes, qu’à l’intégration des différents sites périphériques de la communauté et à l’aménagement d’espaces de processions. Les chaussées mayas sont parfois décrites comme des routes pavées qui traversent les royaumes : je vous conseille les écrits de Diego de Landa au XVIe siècle et de Diego Lopez de Cogolludo au XVIIe siècle. Ces récits ethnohistoriques insistent souvent sur la signification spirituelle et cérémonielle de ces chemins.

Les fonctions des sacbeob dans l’architecture maya

Il apparaît rapidement, au fil des lectures que l’on peut faire, que de nombreuses hypothèses ont été émises sur la fonction des sacbeob. Bien que les chercheurs ne soient pas unanimes sur les raisons de l’utilisation de ces chaussées, il est aujourd’hui admis qu’elles furent multifonctionnelles. Dans les lignes suivantes, nous présenterons les 6 interprétations qui sont proposées généralement par les différents auteurs ayant écrit à leur sujet :

Une fonction pratique dans l’architecture maya : connecter les points A et B

Une route est avant tout pratique, elle sert à aller d’un point A à un point B. Sa fonction première est donc de connecter deux points dans l’espace. Elle fournit un itinéraire de transport à travers un terrain plus ou moins difficile et offre aussi le moyen de déplacer une grande variété de marchandises. La fonction pratique peut être subdivisée en deux sous-utilisations, le déplacement des personnes, d’une part, le transport des biens, de l’autre. Ces chaussées droites surélevées sont le moyen le plus rapide pour se déplacer notamment là où il existe des zones qui peuvent être difficilement franchissables en particulier durant la période des pluies.

Pour les archéologues, les sacbeob sont aussi des routes commerciales. Cette hypothèse est renforcée par des preuves archéologiques comme l’existence de différentes structures spécialisées : ainsi, des rampes associées à des édifices administratifs qui pouvaient servir de douanes ; ainsi sur la route de Coba-Yaxuna, il a été repéré un bâtiment appelé ah beelnal, qui faisait peut-être office de bureau de contrôle ; cela implique peut-être l’existence de gardiens des voies de communication.

Une fonction cérémonielle dans l’architecture maya : lien avec les structures religieuses

Beaucoup d’archéologues supposent que plusieurs chaussées servaient à des processions et à des pèlerinages. D’autres, comme Freidel et Sabloff, remarquent que les sacbeob sont souvent associés à des structures religieuses.

Une fonction politique dans l’architecture maya : marqueur de statut social et de contrôle

Les sacbeob étaient aussi un marqueur de statut social pour les classes dirigeantes qui seraient les seules à avoir investi dans la construction de ces structures monumentales qui reliaient leurs groupes résidentiels aux centres urbains. La construction d’une chaussée serait une des démonstrations du pouvoir politique et du contrôle de la population. Les travaux d’aménagement unifiaient un centre avec ses périphéries et consolidaient les relations entre travailleurs sans oublier l’identité collective qu’ils contribuaient à affirmer. Il s’agirait donc d’aménagements qui intégraient les populations, d’une part, et solidifiaient le contrôle politique, d’autre part. C’était un moyen de montrer la puissance et la richesse d’une cité et de ses chefs.

Une fonction symbolique dans l’architecture maya : création de relations sacrées

En reliant les parties importantes d’un site, les Mayas créaient une relation sacrée. La route devient alors un lien symbolique entre le centre urbain et les sites périphériques. En favorisant l’accès et la visibilité du palais aux participants via l’axe d’une large chaussée et une place, le but était peut-être qu’un visiteur puisse voir et être vu de très loin par le seigneur assis sur son trône. Pour Hutson, la surélévation de la chaussée permet d’en faire une scène de théâtre pour les processions. Dans un état d’esprit proche, Andrea Peiro Vitoria qui a étudié la structure urbaine de quelques cités mayas au Classique insiste sur les relations visuelles entre groupes architecturaux. Confirmant ainsi les propos de T. Inomata.

Une fonction cosmologique dans l’architecture maya : expression de concepts cosmologiques

Pour J. Shaw, le sacbe sert d’axis mundi et peut être comparé à l’arbre du centre du monde. Cet axis mundi représenté par des cordons torsadés, est associé à la Voie lactée ou au mouvement des planètes, c’est le concept maya yucatèque du Kusansum qui représente une grande corde vivante. Folan, de son côté, signale, dès 1991, que les chaussées pouvaient suivre des alignements aux significations astronomiques.

Il prouve, par exemple, que l’alignement de la maison du Gouverneur d’Uxmal ou encore de la pyramide de Cahtzuc aurait été déterminé en fonction de la planète Vénus. Il y aurait eu en réalité une volonté, de la part des Mayas, de choisir des terminus en fonction de leur situation géographique afin de réaliser une ligne droite est-ouest respectant l’observation du soleil au zénith. Cela démontrerait que les Mayas avaient une connaissance des latitudes. Ce respect des alignements peut être lié à des événements mythologiques et indiquerait que l’architecture monumentale peut s’interpréter comme la représentation d’un paysage mythique. La chaussée pourrait être un élément central dans l’expression de concepts cosmologiques.

Une fonction militaire dans l’architecture maya : maintien des frontières et contrôle des régions

Dans les livres de « Chilam Balam » , il est question de mouches qui pleureront aux carrefours. Les chercheurs pensent que cela signifie qu’il y avait des conflits armés aux carrefours et que les mouches venaient ensuite sur les morts. De même, dans le dictionnaire de Vienne le terme « reñir a la encrucijada » signifie « combat aux carrefours ». Pour Kurjack et pour Andrews, le sacbe serait une forme précoce de maintien des frontières et de domination des états vassaux. Les carrefours sont des nœuds logistiques qui contrôlent les régions. Les combats se limitaient peut-être aux goulets d’étranglement et aux carrefours. De plus, les routes étaient associées à de possibles bâtiments militaires comme des avant-postes qui contrôlaient l’entrée des cités.

Pour Hassig, les avantages militaires des routes sont évidents, le système routier maya pallie les problèmes logistiques en offrant une surface dure pour les marches rapides. Au vu de la largeur des routes, les soldats qui occupent un mètre carré pouvaient marcher en colonnes parfois à 10 de front. Les armées pouvaient se déplacer dans tout le territoire, quelle que soit la saison grâce à l’utilisation de routes aménagées. Les routes permettaient le contrôle des réapprovisionnements et la circulation rapide des troupes d’une région à l’autre.

Architecture Maya : étude des sacbeob dans la région Puuc

Pour ma part, j’ai étudié les sacbeob de la région Puuc dans le Yucatan. J’ai donc relevé 37 chaussées exploitables sur 17 sites. 

Situés dans le sud-ouest de l’État du Yucatán, dans une zone de 6000 km2 que l’on nomme Puuc, les Mayas ont développé un incroyable style architectural. La région Puuc a été occupée principalement de 150 à 1000 apr. J.-C. environ et créé vers la fin du Classique à partir de 700 environ, un style architectural qui lui est propre.

Je vous passe ici la méthode de travail, les différentes classifications ainsi que les différentes analyses réalisées pour aller à l’essentiel. 

Après avoir étudié les sacbeob en eux-mêmes, l’orientation, les terminus ainsi que les structures de parcours, il en ressort pour moi que la chaussée  est multifonctionnelle (pratique, cérémonielle, politique, cosmologique, de parcours, relationnel, militaire) et qu’elle est un marqueur :

Le sacbe est un marqueur de lien : le sacbe est en fait avant tout un marqueur de relation : la chaussée existe pour relier. Grâce à la chaussée, les Mayas matérialisaient l’existence d’une relation entre groupes architecturaux distincts. Au-delà de marquer une relation, il soulignait peut-être, dans certains cas, l’existence d’une dualité entre deux parties d’un même site. Par exemple, lors d’une dualité existant entre les élites locales. Le sacbe est un marqueur de relation entre différentes unités spatiales et architecturales, et que cette volonté a été mise en place par les élites mayas.

Le sacbe est un marqueur d’urbanisme : à travers l’espace public, l’effet de théâtralité et le parcours imposé, la chaussée est un marqueur d’urbanisme. Il y a une volonté manifeste d’imposer aux utilisateurs un parcours architectural et de créer un effet de théâtralité. Le visiteur marchant parfois sur plusieurs centaines de mètres avant d’atteindre la structure monumentale est lui-même impressionné par le pouvoir politique du seigneur. À travers une chaussée et d’autres éléments de l’architecture, la puissance que possède un seigneur est exaltée. La chaussée est un excellent exemple du savoir architectural et environnemental que possédaient les Mayas. 

Le sacbe est un marqueur de pouvoir : sa construction est une volonté politique. Il souligne l’importance des structures cérémonielles et civiques. En reliant les différentes parties des sites à leur centre, la classe politique montre l’étendue de son pouvoir et de sa volonté urbanistique. Il y a une volonté de marquer l’aspect religieux et cérémoniel de ces chaussées qui sont de ce fait incorporées dans la structure religieuse des cités.

Enfin le sacbe est aussi un marqueur de pouvoir cosmologique. Bien que cela reste plus spéculatif, nous ne pouvons nier qu’il existe des redondances dans les orientations cardinales des chaussées. Que ce soit l’orientation est-ouest marquant le lever et le coucher du soleil, qui montre le renouveau du monde et de l’agriculture ou l’orientation nord-sud qui marquerait l’orientation de la Voie lactée. 

En fin de compte le sacbe est bien plus qu’une chaussée, il est la représentation d’une volonté politique et religieuse d’organisation de l’espace visant à relier matériellement et symboliquement des groupes architecturaux entre eux. 

Si la civilisation maya révèle autant de surprises avec un si petit sujet, je vous laisse imaginer l’étendue des recherches qu’il y a à faire sur cette incroyable et unique civilisation.

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