Bonheur au travail : oxymore ou véritable allié de la transformation des entreprises ? L’avis d’une chercheuse
Dans une interview accordée à Okay Doc, Aurélie Dudézert, enseignante-chercheuse à Institut Mines-Télécom Business School dévoile son expertise sur les transformations organisationnelles.
Forte de son expérience auprès d’entreprises telles que SNCF, Total, Orange, Bouygues et Michelin, elle aborde comment le bonheur au travail se combine avec la révolution numérique pour façonner l’avenir des entreprises. L’article « When Companies Make Your Days : Happiness Management and Digital Workplace Transformation » qu’elle a récemment publié en open access sert de toile de fond à cette conversation.
Liste des questions
Vous avez publié un article intitulé “When Companies Make Your Days : Happiness Management and Digital Workplace Transformation”. Selon vous, en quoi le management par le bonheur favorise-t-il la collaboration et l’innovation ?
Aurélie Dudézert : Dans les trois entreprises que nous avons étudiées avec mes collègues Florence Laval, Nathalie Mitev et Anuragini Shirish, nous avons identifié que le management par le bonheur était utilisé comme une méthode spécifique de gestion du changement pour mettre en œuvre des programmes de transformation digitale au sein de ces entreprises. Ces programmes ont pour finalité de développer de nouvelles pratiques de travail centrées sur la collaboration entre les salariés, l’autonomie, le partage de connaissances et l’innovation.
Le management par le bonheur consiste à considérer que c’est en transformant les comportements individuels et non pas organisationnels que l’on parviendra à ces nouvelles pratiques de travail. Si c’est un aspect du problème, nos travaux montrent que ce n’est pas le seul.
Changer les pratiques de travail, c’est surtout transformer l’organisation du travail, c’est-à-dire les modes de planification, de coordination et d’évaluation du travail. Si les salariés développent des comportements autonomes, flexibles et innovants mais que l’organisation même du travail n’évolue pas, la transformation attendue n’aura pas lieu.
Comment les entreprises devraient-elles équilibrer le bonheur au travail avec les objectifs commerciaux ?
Aurélie Dudézert : Nous traversons actuellement en France une véritable crise du travail. Nos travaux montrent qu’il y a aujourd’hui une défiance des salariés vis-à-vis de l’entreprise en tant qu’institution. De nombreuses études soulignent que les salariés français souffrent de mauvaises conditions de travail. Les Français aiment le travail mais la pratique de travail paraît de plus en plus désincarnée et dénuée de sens, notamment au sein des grandes entreprises. La crise de la COVID a accentué encore cette perception.
Je ne suis pas sûre que les salariés français recherchent le bonheur au travail mais ils cherchent à faire un travail bien fait et à comprendre pourquoi s’investir dans un collectif. De ce point de vue-là, certaines démarches de management par le bonheur que nous avons observées peuvent être efficaces. Il s’agit de démarches participatives qui permettent aux salariés d’exprimer ce qu’est collectivement leur vision du bonheur au travail et de travailler à mettre en place des outils, des espaces, des façons d’interagir qui le permettent. Ces pratiques, quand elles sont bien menées, permettent une satisfaction au travail pour le salarié et une fidélisation des salariés les plus moteurs pour l’activité.
Pouvez-vous donner des exemples de cas où le management axé sur le bonheur au travail a accéléré la transformation digitale et les performances des entreprises que vous avez analysées dans votre article ?
Aurélie Dudézert : Dans notre étude, nous avons identifié que l’entreprise BOUYGUES IMMOBILIER avait lancé à une période une démarche de management par le bonheur qui avait contribué fortement à l’évolution des comportements des salariés pour adopter de nouvelles pratiques de travail. Cette démarche a été menée justement dans une optique participative et ouverte aux suggestions des salariés.
Toutefois, suite à des évolutions de conjoncture, l’entreprise n’a pas pu aller au bout de la démarche en menant une véritable transformation organisationnelle complémentaire à cette transformation individuelle. Des pratiques de management par le bonheur se sont poursuivies mais les salariés s’en sont progressivement désengagés comprenant que leurs propres implications individuelles pour changer n’étaient pas suivies d’effets au niveau de l’organisation.
Selon vous, à l’avenir, comment évoluera le lien entre bonheur au travail, transformation digitale et succès des entreprises ?
Aurélie Dudézert : Je ne peux pas prédire les choix que fera chaque entreprise. En revanche, ce que montrent nos travaux c’est que la satisfaction des salariés quant à leur travail est un véritable enjeu pour les entreprises aujourd’hui. Nous évoluons dans un environnement économique qui crée de la valeur principalement en délivrant du service au client. Une large partie de l’activité de production est désormais automatisée par les outils digitaux. Ce n’est plus vraiment cette capacité à produire qui fait la différence sur un marché.
La concurrence se fait donc sur la capacité de l’entreprise à mobiliser la subjectivité individuelle des salariés pour répondre aux attentes des clients. Cette subjectivité permet soit d’innover et de proposer de nouveaux services différenciants, soit d’apporter une meilleure satisfaction au client. Si les salariés continuent à souffrir du travail qu’ils pratiquent et/ou qu’ils fournissent, ils n’auront plus l’énergie et l’envie de s’investir pour l’entreprise. Il me paraît donc important pour la pérennité des entreprises qu’elles travaillent à mieux dialoguer avec les salariés pour comprendre leurs attentes et leurs besoins.
Toutefois travailler uniquement sur l’angle individuel comme dans la majorité des démarches de management par le bonheur ne me paraît pas répondre de façon satisfaisante à cette question. Il s’agit plutôt d’apporter des réponses aux collectifs de travail et de travailler à une refonte de modes d’organisation du travail.
En quoi les chercheurs en sciences humaines et sociales pourraient-ils être des acteurs clés dans la mise en place de ces transformations au sein des organisations ?
Aurélie Dudézert : Les recherches en Sciences Humaines et Sociales permettent aux acteurs du monde de l’entreprise de développer une réflexivité et une prise de recul sur leur vécu au quotidien dans la pratique de travail. Dans un monde où tout change très vite et où nous sommes assaillis d’informations les plus diverses et les plus contradictoires, la recherche offre l’opportunité de prendre le temps de la réflexion et de la mise à distance des situations. De nombreuses situations vécues aujourd’hui ont été anticipées par les chercheurs il y a une vingtaine d’années.
Se pencher sur ces travaux permet aux entreprises avec lesquelles nous travaillons d’affronter les défis auxquelles elles sont confrontées en sortant d’un sentiment d’urgence qui peut être handicapant pour prendre des décisions efficaces.
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