Astrophysique : « Dans mon domaine, une expérience à l’étranger est nécessaire »
Okay Doc donne la parole à des chercheurs et entrepreneurs qui font le lien entre le monde de la recherche et celui des entreprises. Retrouvez notre entretien avec William Béthune, chercheur sur la dynamique des disques d’accrétion et le processus de formation planétaire au sein du groupe d’astrophysique numérique de l’université de Tübingen.
Sommaire
Quel est ton domaine de spécialité ?
Je suis astrophysicien : j’étudie principalement l’environnement des jeunes étoiles pour comprendre leur formation et celle des planètes. J’aborde ce sujet comme un problème de mécanique des fluides, et ma spécialité consiste à chercher les réponses dans des simulations numériques, sur ordinateur.
Peux-tu nous détailler les principaux résultats de ta recherche ?
Lors de la naissance d’une étoile, du gaz et des poussières initialement dilués dans le milieu interstellaire s’accumulent pour former l’étoile avec un disque en orbite autour d’elle. Dans ce disque, une partie du gaz continue de tomber sur l’étoile pour la faire grossir, tandis qu’une partie des poussières s’agglomèrent pour former des planètes. Ces deux aspects évolutifs (formation stellaire et planétaire) soulèvent des problèmes théoriques liés à la nature de l’écoulement gazeux.
La recherche d’exoplanètes — des « systèmes Solaires » lointains — a conduit à des observations de plus en plus détaillées des disques autour d’étoiles jeunes. Ces observations révèlent une exubérance de structures que les modèles les plus simples ou conventionnels ont du mal à expliquer. Un enjeu récurrent dans mes travaux est d’identifier les mécanismes hydrodynamiques capables de transporter du gaz vers l’étoile, de faciliter l’agglomération de poussières, ou de générer les structures observées dans les disques (e.g., des vortex anti-cycloniques).
Pourquoi avoir choisi de réaliser tes postdoc à l’étranger ?
C’était une évidence, et j’y étais conditionné avant même de commencer ma thèse. D’une part, une expérience réussie à l’étranger est décrite comme nécessaire dans la perspective d’un recrutement académique en astrophysique ; je voulais garder mes chances. D’autre part, et de façon plus terre-à-terre, il y a peu d’offres de post-doc en France dans mon domaine précis — une à deux par an.
Heureusement, il y a des opportunités à l’étranger. J’ai reçu plusieurs offres chaque année où j’ai candidaté. A défaut d’annonce pour rejoindre des projets scientifiques, il y a des bourses (fellowships) associées à divers pays et laboratoires. Pour moi, la difficulté était de garder un pied dans la communauté de chercheurs Français.
Qu’as-tu retiré de ces expériences à l’étranger ?
Question large ! Pour faire bref :
1. Du recul et de la maturité : j’ai appris énormément de choses par rapport à mon domaine d’étude, et à l’astrophysique en général. J’ai également pu perfectionner mes compétences dans l’exercice de la recherche et prendre part au fonctionnement des groupes de recherche. Finalement, cela m’a permis d’affiner ma relation à la recherche académique ;
2. De l’épanouissement : grâce aux nombreuses rencontres et à de nombreux échanges stimulants, ainsi qu’à l’autonomie qui m’était accordée. J’ai eu le temps de cultiver des idées jusqu’à en voir certaines déboucher sur mes projets les plus satisfaisants.
Quelles différences vois-tu entre les fonctionnements allemands, anglais et français dans ton domaine de recherche ?
Ces trois pays disposent de moyens comparables pour la recherche en astrophysique, la recherche s’y organise suivant les mêmes structures et rituels dans l’ensemble, sans qu’une thématique soit réellement plus forte dans l’un ou l’autre. À l’échelle individuelle, je note seulement que les salaires allemands sont les plus élevés, sans le coût de la vie londonienne.
C’est à l’échelle des groupes de recherche que la différence me semble la plus flagrante. En Allemagne il est courant de trouver une hiérarchie pyramidale constituée d’un groupe d’étudiants de master (leur stage de M2 dure une année entière), de doctorants et de post-docs avec un professeur au sommet. C’est l’opposé de ce que j’ai vécu en thèse où nous étions au maximum trois doctorants et un post-doc pour une dizaine de chercheurs permanents. La situation en Angleterre était intermédiaire, avec trois à cinq permanents et un ou deux thésard/post-doc chacun. Je crois que ces différentes hiérarchies déterminent les interactions sociales au sein du groupe, avec un impact net sur le bien-être des étudiants et post-doctorants.
Comment interprètes-tu la coopération entre la recherche et les entreprises ?
C’est un point qui m’a surpris lors de mon arrivée en Allemagne : la majorité des doctorants savent dès le début de leur thèse qu’ils veulent poursuivre dans l’industrie — et ils en auront la chance ! Certains sont en contact avec leur entreprise cible durant toute leur thèse, d’autres non, mais les deux travaillent sur des projets d’astrophysique sans application industrielle directe. Ils sont là pour acquérir un savoir-faire technique et méthodologique reconnu hors du champ académique. J’ai eu la même impression en Angleterre, où plusieurs de mes ex-collègues ont rejoint des entreprises de haute technologie aussitôt après leur thèse en astrophysique. Malheureusement je manque de tels exemples en France, et de mon expérience personnelle le lien académie-entreprise n’y est pas aussi profondément ramifié. Bien qu’il y ait de nombreux exemples de coopérations réussies entre organismes distincts, je vois aussi un biais culturel empêchant ces deux phases de s’interpénétrer.
Que penses-tu pouvoir apporter aux entreprises intéressées par la physique théorique ?
Je remplacerais « physique théorique » par « technologies de pointe » car la théorie fondamentale n’a pas directement de visée applicative, mais cela n’empêche pas d’y faire de la R&D passionnante ! Dans ce contexte, et comme tant d’autres docteurs, je pourrais apporter :
1. La capacité d’analyse bibliographique, c’est à dire dessiner l’état de l’art du domaine, synthétiser les réussites et les échecs passés, identifier les pistes ouvertes à l’innovation ;
2. La méthodologie scientifique pour caractériser la qualité des solutions actuelles, identifier leurs faiblesses, quantifier les bénéfices associés à de nouvelles solutions ;
3. Des compétences techniques dans la construction de ces nouvelles solutions, en l’occurrence le calcul scientifique de haute performance et la mécanique des fluides ;
4. Du rayonnement à travers la communication des travaux par l’intermédiaire de publications, conférences, séminaires, au cours de formations ou par l’encadrement de stagiaires.
William Béthune est chercheur postdoctoral sur la dynamique des disques d’accrétion et le processus de formation planétaire au sein du groupe d’astrophysique numérique de l’université de Tübingen.
Par Charles Aymard, responsable du pôle Conseil & stratégie en innovation chez Okay Doc.
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