CIFRE : solution miracle pour les doctorants sans financement de thèse ?
Le dispositif CIFRE permet aux doctorants de financer leur thèse pendant trois ans en effectuant une recherche appliquée au sein d’une entreprise ou d’une collectivité territoriale. Parmi les thèses financées, plus de 10% sont des thèses CIFRE. L’objectif de la France est d’atteindre 2 150 Cifre par an en 2027, contre un objectif de 1 500 en 2020, selon le rapport “L’état de l’emploi scientifique en France” (2023).
Dans le souci de renforcer les partenariats entre les laboratoires et le monde socio-économique, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESRI) propose la Convention Industrielle de la Formation par la Recherche (CIFRE) à tout étudiant s’orientant vers le doctorat.
Ce dispositif créé en 1981 et géré par l’Association Nationale de la Recherche et de la Technologie (ANRT) permet au doctorant de développer son sujet de thèse au sein d’une entreprise ou d’une collectivité territoriale en collaboration avec son laboratoire de recherche. Le doctorant a un double avantage : confronter la théorie au terrain via la recherche appliquée ou la recherche intervention et acquérir de l’expérience professionnelle parallèlement à son doctorat.
Le recrutement d’un doctorant-salarié donne une légitimité à l’entreprise vis-à-vis de ses partenaires. Ce n’est pas l’unique avantage, puisqu’il a la capacité d’analyser et de détecter des problématiques en ayant le recul nécessaire.
Sommaire
Les témoignages de docteures ayant fait leur CIFRE dans plusieurs secteurs activités :
Mattea Romani, docteure en microbiologie environnementale et R&D Scientist :
« J’ai toujours été attirée par la microbiologie mais j’avais déjà fait 2 stages en recherche fondamentale en virologie et en parasitologie. J’ai eu une proposition de stage de 6 mois dans un laboratoire public en partenariat avec une entreprise privée pour étudier les biofilms qui se développent sur les tuiles en terre cuite. Comme on a eu des bons résultats préliminaires, ils ont décidé de continuer avec moi en thèse CIFRE.
J’étais beaucoup dans mon laboratoire public car mon entreprise n’avait pas les équipements, leur R&D n’était pas adaptée à ma recherche. J’ai eu énormément de chance parce que j’ai vraiment eu une partie très fondamentale, on m’a laissé publier quatre papiers, j’ai fait deux congrès et en parallèle, il y a eu un volet appliqué. J’ai trouvé des solutions contre le verdissement des toitures et certaines ont été appliquées à l’échelle industrielle. Ils sont en train de réfléchir pour breveter une partie de ce que j’ai fait ».
Anne-Charlotte Kervoelen, docteure en droit privé et chargée d’enseignement supérieur en droit des sociétés :
« J’ai réalisé un master 2 professionnalisant en droit des affaires, puis j’ai exercé quelques temps en cabinet d’avocat et d’expertise comptable. Si la pratique du terrain me plait et m’anime – ce qui est indéniable – ; l’idée d’une thèse ne m’a jamais quittée. J’ai donc fait le choix de prendre ce virage – celui du doctorat – ; et ce, quand bien même mon parcours ne rentrait pas dans les “canons” universitaires.
J’ai cherché un directeur de thèse partout en France qui veuille bien me suivre. Par ma force de conviction, j’ai fini par trouver ma directrice de recherche, Madame Monique Luby Gaucher à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, et un cabinet d’expertise comptable, Arraou et Associés, afin de “me financer” à proximité.
Puis, les choses se sont faites naturellement : une relation tripartite sincère, authentique et basée sur la confiance. Si bien que le financement de ma thèse en CIFRE était avant tout une idée de mon employeur, Philippe Arraou. Nous avons travaillé par la suite sur un sujet porteur d’actualités et en adéquation avec les besoins de l’entreprise d’aujourd’hui dans les secteurs des professions libérales du Droit et du Chiffre : la pluriprofessionnalité.
S’agissant plus particulièrement de mon emploi du temps alternant travail au cabinet et thèse, il a fallu être flexible pendant ces trois ans et demi (je parle ici de moi bien-sûr mais également de ceux qui m’ont accompagnée dans le cadre de l’entreprise et que je tiens à remercier). En réalité, pour le chercheur, ce cumul n’est pas simple d’un point de vue purement intellectuel.
Mais pour l’entreprise, il ne l’est pas davantage d’un point de vue organisationnel. Il a donc fallu s’adapter à tout le monde. On l’a fait – et je dirai même – que nous avons su très bien le faire !. Au départ, j’alternais mon temps de travail entre le cabinet pour la moitié, et l’école doctorale pour l’autre moitié. Puis, j’ai trouvé mon rythme en travaillant tout le temps au cabinet où j’avais deux bureaux : l’un pour les dossiers à traiter, l’autre pour ma thèse. Enfin, nous avons tous connu la période Covid où le télétravail m’a finalement beaucoup aidé à avancer ma thèse : et EN FINIR ! »
Marina Pisano, docteure en sciences de gestion, Directrice de communication et en postdoctorat à l’Université de Technologie de Compiègne (UTC) / Agence Innovation Défense (AID) :
« Mon Master 2 Management des territoires et des entreprises à l’UPV3 m’a donné envie de faire une thèse parce qu’il y avait énormément d’analyses, de diagnostics d’entreprises et de territoires. J’ai découvert que j’étais capable de faire ça et que j’adorais chercher l’information.
En première année de thèse, je travaillais en boutique à Montpellier. Il n’y avait pas de bourse possible et j’ai ressenti vraiment un décalage entre le travail que je faisais et ce qu’on me demandait de faire la première année. C’était beaucoup de lectures et de recherches. Je me suis renseignée et j’ai découvert l’ANRT qui proposait des financements CIFRE.
On a étudié la question avec ma directrice de thèse et il a fallu trouver une entreprise. Clairement ça a été mes relations, mon réseau. C’est ma famille qui m’a beaucoup aidée, j’ai eu beaucoup de chance. J’ai pu intégrer un bureau d’études techniques dans le secteur du bâtiment, qui développe son activité dans l’ingénierie, la construction et l’immobilier avec une dimension développement durable. Moi, je voulais faire une thèse sur les réseaux formels et informels dans le secteur du bâtiment ».
Leurs conseils pour effectuer sa CIFRE dans de bonnes conditions
À l’unanimité, les trois docteures témoignent d’un profond changement dans leur vie professionnelle et personnelle à la suite de leur doctorat. Elles ont gagné en maturité et en confiance en elles. Pour ce faire, elles nous donnent quelques conseils à suivre :
Mattea Romani : « Bien choisir son encadrant de thèse parce que j’ai vu des doctorants souffrir. Pour certains, leurs encadrants n’étaient pas du tout présents, ils étaient complètement livrés à eux-mêmes ou au contraire d’autres les harcelaient. Il est important d’avoir un encadrant en qui on a confiance. Ma thèse s’est bien passée parce que j’ai eu d’excellents encadrants. »
Anne-Charlotte Kervoelen : « On ne sort pas indemne d’une thèse. La mienne m’a bouleversée, sur tous les plans. S’il y a du positif bien-sûr, il y a aussi énormément de sacrifices. Il faut être fort. Il faut être aussi très armé. La clé : garder l’objectif fixé et ne jamais lâcher. Rester focus. »
En réalité, j’ai eu la chance d’être entourée dans ma sollicitude : ma directrice de recherche, mon tuteur, mon binôme juridique, tous mes collègues de bureau, ma famille, qui m’ont permis de ne pas rester complètement isolée “dans ma bulle”, et de maintenir une vie sociale, la vraie vie en somme. Et pour cela, je veux juste leur dire : MERCI.
Enfin, pour pouvoir soutenir ma thèse dans les délais impartis, j’ai arrêté de travailler à mi-temps pour le cabinet les six derniers mois. C’était le temps de la rédaction finale : le sprint ! Une période inédite, où le temps n’avait plus de frontières, où le monde s’est complètement figé. Il fallait : SOUTENIR. »
Outillage : les conditions d’attribution de la CIFRE
Le candidat :
- Le candidat doit être diplômé d’un master sans condition d’âge ou de nationalité
- Si le candidat a déjà entamé son doctorat, son ancienneté doit avoir moins de 9 mois pour prétendre à une CIFRE
- La répartition du temps de travail du doctorant se fait sur trois activités : l’entreprise, le laboratoire et la formation doctorale
L’entreprise :
- La structure d’accueil doit être établie sur le territoire français. Elle doit être une association, une entreprise ou une collectivité.
- Le recrutement peut se faire en CDI ou en CDD avec un salaire brut minimum annuel de 23 484 € (1 957 € par mois) et reçoit une subvention annuelle à hauteur de 14 000 €
- Elle doit négocier le sujet de recherche selon une problématique de terrain rencontrée
- Elle peut aussi bénéficier d’un CIR en justifiant bien entendu les dépenses attribuées à la recherche (frais des colloques, des déplacements, des logiciels de traitement de données, …)
Points de vigilance :
- Le doctorant est un salarié à part entière. Il dépend du Code du Travail côté entreprise et du code de l’Education, côté laboratoire.
- Le doctorant n’est pas un simple exécutant et ne produira pas des réponses rapides aux problématiques de terrain. Ses travaux sont à prévoir sur un temps long avec des états d’avancement réguliers.
- Le Crédit Impôt Recherche doit être justifié par la co-production d’un savoir par le doctorant-salarié et l’entreprise. Cela se matérialise par des publications, par la participation à des conférences ou à des colloques scientifiques.
- La répartition des temps de travail entre le laboratoire et l’entreprise doit être respectée par l’entreprise pour la réalisation de la thèse dans les délais impartis c’est-à-dire 3 ans.
- Le partenariat doit être nourri par les parties prenantes notamment par l’organisation de points réguliers entre l’entreprise et les directeurs. trices de thèse et le doctorant.
Qu’en est-il de l’insertion professionnelle des doctorants en CIFRE ?
Selon le MESRI, la CIFRE a prouvé son efficacité en matière d’insertion professionnelle puisque 90 % des diplômés trouvent un emploi six mois après leur soutenance de thèse et plus de 70 % rejoignent le secteur privé. Une grande majorité de ces doctorants débute sa carrière par des emplois en R&D. La CIFRE ouvre aussi les portes du concours de Maître de Conférence (qualification et recrutement) et celles des concours pour les cadres de la fonction publique par exemple, les concours d’Ingénieurs et Personnels Techniques de Recherche et Formation (ITRF) de la fonction publique d’Etat. Les laboratoires et les établissements d’enseignement supérieur peuvent ainsi diversifier les parcours d’insertion professionnelle de leurs jeunes docteurs et enrichir leurs réseaux via ces partenariats publics-privés.
Article écrit par Laura Flores, Phd en sciences de gestion.
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