Que nous enseigne le Lean vis-à-vis de la crise que nous traversons ?

Que nous enseigne le Lean vis-à-vis de la crise que nous traversons ?

interview florian magnani

Nous vivons une période de crise qui génère des défis pragmatiques et émotionnels, à la maison comme au travail. Nous sommes pour la plupart confinés, et ceux qui se dévouent pour faire fonctionner les activités nécessaires pour les autres ne le font pas toujours dans les meilleures conditions. L’activité économique ne tourne plus qu’à 65% de ses capacités et des millions de personnes sont au chômage partiel – pourquoi donc se soucier de performance ? Le Lean ou ses variantes (Excellence Opérationnelle, Toyota Production System…) n’a jamais été autant utile qu’en temps de crise, comme le montre les retours d’expériences de Toyota en la matière. Et même si le COVID-19 bouleversera notre rapport au monde extérieur, au gouvernement, aux autres…, nous continuerons d’avancer en matière de progrès, de technologie, d’économie, d’écologie… Comme toute crise, celle-ci permet de s’arrêter et de faire émerger de grandes opportunités, qui pourront être observées au travers d’un filtre lean.

La société

Plusieurs analystes et scientifiques ont déjà exploré les potentielles transformations qu’apporteront cette crise sur la société. Le retour de la pensée scientifique en est une. Un nouveau rapport de confiance vis-à-vis des institutions, vis-à-vis de la science, vis-à-vis de l’expérience et de l’expertise, semble émerger. La digitalisation accélérée et forcée de nos activités du quotidien et de notre travail permet sa remise en cause. Des populations remarquables se sont adaptés rapidement au changement, même si ces mêmes populations étaient souvent critiquées pour leur résistance. Cette crise revalorise des activités qui ont été jugées à faible valeur ajoutée : les activités proches du client (intermédiaire ou final) sont celles qui ont finalement le plus de valeur. L’apprentissage ou le développement des compétences à distance pourrait être revu pour revenir à l’essentielle des interactions sociales génératrices de valeurs. Cette situation tend à renforcer notre dépendance aux nouvelles technologies jusqu’à l’accepter pour envisager le futur. Cela pourrait donner naissance à de nouveaux développements, de nouvelles innovations ou de nouveaux rapports à ces innovations qui viendront renforcer notre dépendance positive à la technologie comme un support indispensable à des interactions plus « humaines ».

Les entreprises

Cette crise engendre des aléas logistiques et de production. Tous les niveaux des chaines logistiques deviennent critiques pour assurer les essentiels pour les hôpitaux, les services publics, les entreprises et les particuliers. Nous revenons sur le territoire du Lean : le juste-à-temps et le jidoka (ou l’automatisation avec intelligence humaine). Le juste-à-temps nous apportent un regard unique sur la fluidité de la logistique et la flexibilité de la production. L’obsession de la qualité nous permet de nous poser les bonnes questions sur les solutions à moyen terme. Les supply chain ont dû alors rapidement se reconfigurer pour favoriser les acteurs locaux afin de réduire les délais. Toyota nous rappelle que les relations avec les fournisseurs sont cruciales : il n’est pas question de leur rouler dessus et de sauver sa peau à leur dépends mais de s’en sortir ensemble (ce qui implique de souffrir ensemble si besoin). Les entreprises s’entraident, se réinventent pour éviter de faire émerger un sentiment d’insécurité chez les employés et pour éviter de se séparer de leur personnel. Au-delà des ruptures de contrats, les entreprises savent qu’une fois la crise finie, l’activité reprendra et qu’elles auront besoin du même personnel qualifié et compétent. En se focalisant sur les problèmes émergents, il est possible d’identifier rapidement de nouvelles façons de les soutenir, de les aider à surmonter la crise tout en satisfaisant les clients. Ce que nous pouvons remettre en cause est le niveau de préparation des entreprises ou des réseaux. Étions-nous individuellement et collectivement prêt pour cette crise, même si imprévisible ? Toyota nous propose une voie d’anticipation qui peut s’avérer utile. Pour les risques les plus probables, Toyota va forcer l’occurrence de la situation à risque, sans mettre en danger son personnel, pour en tirer des apprentissages et définir des règles de prévention. L’accumulation de ses essais permet d’affiner un plan d’action pour que l’usine soit de plus en plus réactive. Disposer d’alternatives activables et créer des redondances uniquement là où cela est nécessaire pour assurer le service client est également un atout : un réseau de fournisseur et des ressources internes capables de fabriquer en petite quantité toutes les pièces dont on aurait besoin.

Les individus

Les mesures d’hygiènes, les rapports et les interactions que nous avions au sein de nos équipes ont fondamentalement changé. Le télétravail est de mise, et les enjeux autour de la confiance se pose plus que jamais. Le lien social se détériore surtout quand le confinement isole de plus en plus. Gérer une équipe à distance demande énormément d’effort et devient plus complexe. Malheureusement, les grandes crises sont trop souvent l’occasion pour les managers de reprendre la main sur les équipes, en mode command-and-control et de lancer une hyper-solution après l’autre. Les réponses à la situation de crise naîtront de leur écoute, de leur capacité à protéger leur équipe (parfois même en faisant bouclier face à des injonctions paradoxales venant des supérieurs hiérarchiques) et de l’amélioration continue. Même si la tendance naturelle est à chercher un ou des responsables à ce qui nous arrivent, le lean nous enseigne de remettre en cause le processus pour identifier les potentiels causes racines à adresser ou de remettre en cause les compétences détenues. L’humilité et le respect sont de rigueur pour ne pas sombrer dans la recherche de coupable. Résoudre des problèmes au quotidien permet d’approfondir la compréhension que chacun a de sa place. En temps de crise, cette capacité acquise devient critique – elle permet aux équipes d’aborder les situations plus calmement, de trouver des solutions habiles et, surtout, d’encaisser les inévitables revers avec plus de résilience. Cette crise nous libère du temps pour résoudre les problèmes, capitaliser sur les expériences vécues précédemment et consolider le socle de nos compétences (voir même en acquérir de nouvelles). Les crises sont les moments qui permettent d’apprendre, d’être stimulé intellectuellement et de trouver des solutions innovantes.

Conclusion

Au travers de ce brouillard, le lean nous propose des points de repères fixes. En revenant aux fondamentaux, le lean nous centre sur ce qui est important : le respect des personnes et l’efficience des flux. Pour cela, il est important de prendre le temps, ralentir même si cela peut paraitre paradoxale pour, jour après jour, s’améliorer un peu plus. Le lean est avant tout une démarche de développement des capacités organisationnelles de résolution de problème et de diffusion rapide des solutions sur toute la chaîne de valeur. Ces capacités sont les supports à ces réseaux pour répondre rapidement, de manière auto-organisé, à des problèmes localisés, mais aussi à des crises de plus grande ampleur. Même si les crises sont quasi-impossible à prédire, les capacités qui permettent de les mettre sous contrôle de manière efficiente peuvent être développées à l’avance.

Citations: « The history of failure in war can almost be summed up in two words: ‘Too late.’ Too late in comprehending the deadly purpose of a potential enemy; too late in realizing the mortal danger; too late in preparedness; too late in uniting all possible forces for resistance, too late in standing with one’s friends. Victory in war results from no mysterious alchemy or wizardry but depends entirely upon the concentration of superior force at the critical points of combat.” (Statement MacArthur made in 1940, as quoted by James B. Reston in Prelude to Victory (1942), p. 64)

À propos de l’auteur : Florian Magnani

After graduating from an Engineering school (Arts et Métiers ParisTech, France) and a Business school (IAE, France), I participated in the design and the development of a Lean cluster (training, networking, applied research) with 7 different organizations (industrials and academics) for 2 years. I obtained my PhD from Université Paris I Pantheon Sorbonne at the Department of Information & Operations Management, ESCP Europe and at the LCFC, Arts et Métiers ParisTech. I am now a Faculty Lecturer at Ecole Centrale Marseille and conducts research in Operations, Industrial Organization and Human Resources at CERGAM. My most recent publications are ‘L’évolution historique d’un système Lean : le cas du Groupe PSA’ and ‘The human dimension of Lean: a literature review’ 

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