Révolution de l’administration des soins anticancéreux : entretien avec Julien Nicolas

Révolution de l’administration des soins anticancéreux : entretien avec Julien Nicolas

Entretien avec Julien Nicolas

Le Prix des Innovateurs de la Région Île-de-France récompense chaque année des chercheurs de moins de 45 ans qui ont contribué de manière significative à l’innovation en santé. Dans le cadre d’un partenariat de communication avec ce prix de la Région Île-de-France, Okay Doc vous propose une série d’interviews exclusives. Julien Nicolas, directeur de recherche CNRS à l’Université Paris-Saclay, a reçu le Troisième Prix des Innovateurs de la Région Île-de-France 2023 pour son travail innovant visant à révolutionner l’administration des soins anticancéreux. Son projet consiste à développer une nouvelle approche galénique permettant d’administrer ces médicaments par voie sous-cutanée, offrant aux patients un traitement plus confortable et moins contraignant. Voici un aperçu de son projet et de ses implications.

Pourquoi est-il important de proposer des alternatives à l’administration intraveineuse des soins anticancéreux ?

Julien Nicolas : Les chimiothérapies s’administrent principalement par la voie intraveineuse. Et cette voie d’administration, même si elle est efficace, pose de gros problèmes. Premièrement, elle va nécessiter une hospitalisation car c’est une voie d’administration qui est complexe à mettre en place : elle se fait soit par une voie veineuse centrale avec la pose d’une chambre implantable, soit par perfusion veineuse périphérique. Il va falloir reconstituer le produit à la pharmacie de l’hôpital, ce qui va également mobiliser du personnel qualifié. Deuxièmement, elle est inconfortable pour le patient. C’est une voie d’administration qui est relativement invasive, les chimiothérapies doivent être administrées à intervalle régulier toutes les 1 à 3 semaines, sur plusieurs heures, ce qui est contraignant pour le patient car il faut aller très souvent à l’hôpital. Et c’est généralement assez rare d’avoir un hôpital spécialisé dans le traitement du cancer à proximité de son domicile. Et enfin, à cause de la complexité et des particularités de cette prise en charge, cela va engendrer un coût qui est extrêmement élevé pour nos sociétés ; coût qui va être amené à augmenter du fait de la constante augmentation des patients atteints de cancer.

Pouvez-vous expliquer en quoi consiste votre innovation et comment elle vise à améliorer l’administration des soins anticancéreux ?

Julien Nicolas : Suite à ce constat, notre motivation fut de mettre au point une stratégie thérapeutique pour faciliter/simplifier l’administration des chimiothérapies afin d’augmenter le confort du patient, lui éviter une hospitalisation pour recevoir son traitement et in fine réduire les coûts associés. Nous nous sommes dit que la voie sous-cutanée (SC), qui est une voie d’administration extrêmement facile à pratiquer, pourrait répondre à tous ces critères, moyennant le développement d’une nouvelle approche galénique permettant de transporter efficacement le principe actif du tissu SC jusqu’à la circulation sanguine.

Notre motivation fut de mettre au point une stratégie thérapeutique pour faciliter/simplifier l’administration des chimiothérapies afin d’augmenter le confort du patient.

Pour administrer des principes actifs anticancéreux par la voie SC il faut s’assurer d’au moins deux choses : premièrement, qu’ils n’induisent pas de toxicité au niveau du site d’injection et au niveau du tissu SC. Et c’est bien là tout le problème et c’est ce qui explique pourquoi les chimiothérapies par voie SC ne sont que très peu pratiquées, car la plupart des principes actifs anticancéreux utilisés en cliniques sont des molécules irritantes ou vésicantes, c’est-à-dire qu’elles vont avoir tendance, au contact des tissus, à provoquer des ulcérations voire des nécroses de la peau à cause de leur forte toxicité. Deuxièmement, il faut également s’assurer qu’ils parviennent après injection, à passer du tissu sous-cutané jusqu’à la circulation sanguine afin que la totalité de la dose injectée soit disponible, pour pouvoir être ensuite distribuée dans l’organisme.

Quelle approche avez-vous adoptée pour satisfaire simultanément ces deux critères ?

Julien Nicolas : Afin de satisfaire ces deux critères, l’idée que nous avons eue fut de coupler le principe actif à une chaîne de polymère biocompatible et très soluble dans l’eau pour faire ce que l’on appelle une prodrogue polymère. Cela aura deux conséquences : rendre le principe actif temporairement inactif et donc l’empêcher, tant que la liaison covalente existera, d’induire de la toxicité, et le solubiliser même s’il est hydrophobe (le polymère va imposer ses caractéristiques physico-chimiques au principe actif, en l’occurrence ici sa forte solubilité dans l’eau). Il suffit donc d’injecter en SC cette prodrogue polymère très hydrophile pour permettre de véhiculer le principe actif et de l’amener dans la circulation sanguine. Et c’est seulement à ce moment-là que cette liaison entre le principe actif et le polymère va être rompue (grâce à des enzymes naturellement présentes dans l’organisme), ce qui va libérer le principe actif, qui va ainsi retrouver son activité anticancéreuse et donc pouvoir agir normalement (comme après une injection IV mais sans tous ses inconvénients).

Quelle est l’utilisation prévue des fonds que vous avez reçus en tant que lauréat du Prix des Innovateurs de la Région Île-de-France 2023, et comment cela contribuera-t-il à l’avancement de votre projet ?

Julien Nicolas : Le projet d’utilisation des fonds consistera notamment en la réalisation d’une étude complète de toxicité sous-cutanée d’une librairie de prodrogues polymères issues de notre candidat lead sur des extraits de peau humaine issus de donneurs sains, restant immunocompétentes et fonctionnelles, ce qui permettrait de démontrer l’innocuité sous-cutanée de notre traitement chez l’Homme.

Julien Nicolas au Prix des Innovateurs

Pouvez-vous nous parler de vos antécédents professionnels et de votre implication dans le domaine de la recherche en nanomédecine ?

Julien Nicolas : J’ai intégré le CNRS en 2007 en tant que chargé de recherche à l’Institut Galien Paris-Saclay (Université Paris-Saclay/CNRS), où j’ai depuis lors développé trois thématiques de recherche principales : premièrement, la mise au point de nanoparticules polymères biodégradables et multifonctionnelles pour application notamment en oncologie et contre la maladie d’Alzheimer, deuxièmement, la conception de prodrogues polymères innovantes et plus efficaces pour application en nanomédecine (la thématique qui nous vaut d’être lauréat du Prix des Innovateurs de la Région Île-de-France), et troisièmement, l’ingénierie macromoléculaire moderne afin de développer de nouveaux matériaux polymères dégradables plus performants pour les applications biomédicales et environnementales.

Je suis également co-fondateur de la société Imescia, issue de ces recherches, qui développe des prodrogues polymères hydrophiles pour mettre au point des médicaments anticancéreux plus efficaces et moins toxiques. Nous sommes d’ailleurs à la recherche de financements pour commencer les essais cliniques dès 2024.


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